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rative, comme l’Amérique du Nord et la Suisse, mais nullement celle de la Ligue de Genève. Le problème reste entier.

Les revendications immédiates des pacifistes : désarmement, arbitrage généralisé, révision des traités, abaissement des barrières douanières doivent être les mêmes que si la S. D. N. n’existait pas. La S. D. N. ne doit pas être le centre de nos préoccupations. Le problème essentiel de l’internationalisme constructif n’est pas là.

Un de ses articles prévoit, certes, des amendements aux pactes, pour lesquels la majorité des voix suffisent. Mais il n’est nullement prouvé que le futur régime juridique ou politique international sortira de la transformation du pacte actuel. Déjà, certaines de ses lacunes ont été comblées par des pactes distincts, comme l’acte général d’arbitrage. On peut prévoir d’autres conventions auxquelles participeraient la Russie et les États-Unis, sans adhérer à la S. D. N. Enfin, avant la fédération mondiale, nous aurons peut-être la fédération européenne. Pour réaliser n’importe quelle forme hardie de progrès, nous comptons moins sur l’initiative des gouvernants ou de leurs délégués que sur l’action vigoureuse des peuples. Toutefois, une S. D. N. vraiment démocratique et où le principe de l’unanimité ferait place au principe de la majorité, aurait un autre caractère.

L’expérience a donc infirmé la confiance excessive que certains mettaient dans cet organisme. Mais si nous savons nettement que la Ligue de Genève ne peut assurer par elle-même la paix, cela ne veut pas dire qu’elle ne puisse être utilisée pour le règlement de certains conflits. Il y a des cas où les peuples devraient imposer le recours à son intervention, par exemple celui de la révision des traités.

Elle est un des instruments dont on peut se servir. Confiance et utilisation sont deux notions très différentes. Parfois il est bon qu’un problème soit posé sur un plan largement international. Parfois, la diplomatie publique vaut mieux que la diplomatie privée. Et, en tous cas, toute méthode de règlement pacifique est bonne, si elle diminue les chances de guerre.

Mais, ni par les principes qu’elle proclame, ni par le caractère de sa constitution, ni par l’œuvre qu’elle a réalisée, ni par les possibilités qu’elle contient, la S. D. N. ne mérite de symboliser les aspirations populaires en faveur d’une paix complète, d’une sécurité réelle, d’une solidarité effective, d’un désarmement total. — René Valfort.


SOCIÉTÉ FUTURE (la). — Les individualistes n’aiment guère à s’entretenir d’une Société future. Cette idée a été exploitée et peut nourrir son homme tout comme l’exploitation du paradis nourrit le prêtre, mais elle présente cette ressemblance avec le paradis que la description de ses merveilles exerce une influence soporifique engourdissante sur qui en entend la description ; elle fait oublier l’oppression, la tyrannie, le servage présent ; elle affaiblit l’énergie, elle émascule l’initiative. L’individualiste ne met pas son espoir dans la société future. Il vit dans le moment présent et il veut tirer de ce moment présent le maximum de résultats. L’activité individualiste est une besogne, une réalisation essentiellement présente. L’individualiste sait bien que le présent est l’héritier du passé et qu’il est gros de l’avenir. Ce n’est pas demain qu’il veut voir cesser l’empiètement du social sur l’individuel, l’envahissement, la compression de celui-ci par celui-là. C’est aujourd’hui, dans ses circonstances et conditions actuelles d’existence, que l’individualiste veut conquérir son indépendance.

Certes, l’individualiste échoue dans nombre de ses tentatives d’affranchissement du joug de la maîtrise ambiante. C’est tout naturel quand on considère à quelles

forces d’opposition et d’oppression il lui faut se heurter. Mais l’avenir profitera automatiquement de ce qu’il conquiert pour lui-même. L’individualiste sait bien qu’il n’exploitera pas la forêt tout entière, mais le sentier qu’il aura frayé demeurera et si ceux qui lui succèderont le veulent, ils le maintiendront en bon état de conservation et l’élargiront.

L’individualiste est incapable, il est vrai, de dessiner tous les détails de la carte d’une « humanité future », telle qu’elle existerait si ses revendications étaient acquises. Il lui est donc impossible de faire œuvre topographique, mais il pourra en revanche prévoir avec certitude et la nature du terrain, et la qualité du liquide qui emplira les fleuves et le genre de culture possible. « L’humanité nouvelle » n’est pas absolument pour lui terra incognita.

L’individualiste peut donc dès maintenant se rendre compte de ce que sera une « humanité future ». Il sait qu’elle ne ressemblera en rien au monde actuel, moins dans des changements de détail que par la complète transformation de la mentalité générale, la manière différente de concevoir les rapports entre les hommes, le changement de l’état d’esprit particulier et universel qui rendront impossibles l’existence de certaines méthodes, le fonctionnement de certaines institutions.

Ainsi, l’individualiste peut affirmer avec certitude que dans la société future la méthode d’autorité ne subsistera en aucun cas. Imaginer un « monde à venir » où il y aurait encore trace de domination, de coercition, d’obligation est un non-sens.

L’individualiste est sûr qu’il n’y aura pas de place pour l’intervention de l’État, d’une institution ou d’une administration gouvernementale ou sociale-législative, pénale, disciplinaire, dans les modalités de la pensée, de la conduite, de l’activité des unités humaines isolées ou associées.

L’individualiste sait que les rapports entre les humains et les accords qu’ils pourraient conclure seront établis volontairement, que les ententes et les contrats qu’ils pourront passer le seront pour un objet et un temps déterminés et non obligatoirement, que toujours ils seront sujets à résiliation selon préavis, qu’il n’y aura pas une clause ou un article d’un accord ou d’un contrat qui n’ait été pesé et discuté avant d’être souscrit par les co-contractants ; qu’il ne pourra exister de contrat « unilatéral », c’est-à-dire obligeant quiconque à remplir un engagement qu’il n’a pas accepté personnellement et à bon escient. L’individualiste sait qu’aucune majorité économique, politique, religieuse ou autre, qu’aucun ensemble social, quel qu’il soit, ne pourra contraindre une minorité ou une seule unité humaine à se conformer contre son gré à ses décisions ou à ses arrêts.

Voilà toute une série de certitudes sur lesquelles il n’y a pas à ergoter.

« L’humanité future », telle que la conçoit l’individualiste se « déroule » sans gare terminus, sans point d’arrivée. Elle est en éternel devenir, évoluant indéfiniment sous l’impulsion des conceptions et des réalisations multiples qui s’y feraient jour. Une humanité du type dynamique, si l’on peut s’exprimer ainsi, ignore l’arrêt en cours de route, ou, s’il y a arrêt aux stations, entend que ce soit le temps strictement nécessaire pour y déposer ceux qui veulent tenter une expérience qui n’engage jamais qu’eux-mêmes.

L’humanité future, « l’humanité nouvelle » comme la comprennent les individualistes, constitue une gigantesque arène où, tant au point de vue de la pensée, de la coutume que de la technique, lutteront et se concurrenceront entre eux tous les projets, les plans, les associations, les pratiques de vie imaginables. Et cela, quels que soient le moment, le stade de l’évolution du globe.