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SAV

chose » (être savant en mathématiques). Qui a des connaissances étendues : un savant professeur. Qui est bien informé de quelque chose : « parler d’une chose en homme savant ». Il résulte de ces définitions qu’un savant n’est savant que pour une partie de la science. Avoir la science de quelque chose, avoir des connaissances étendues, être bien informé de quelque chose, cela n’a jamais voulu dire : avoir la science de tout, connaître tout ; être bien informé de tout. Il fut peut-être une époque où un savant pouvait être considéré comme un être possédant un savoir universel ; les connaissances humaines étaient relativement peu étendues ; un individu d’intelligence supérieure pouvait les embrasser toutes. Il ne peut en être de même aujourd’hui. Le champ des explorations scientifiques est tellement vaste qu’il est impossible à un seul individu de le parcourir en entier. La vie humaine n’y suffirait pas. Force a été de se spécialiser. Et, d’ailleurs, rares seraient les hommes aptes à avoir « des clartés de tout ». Celui-ci limitera ses recherches à une branche de la chimie, cet autre passera son existence à se pencher sur les infiniment petits, ce troisième enfin sera un mathématicien hors pair ; mais il n’y en aura aucun qui touchera, avec un égal succès, à tous les arts et à toutes les sciences. C’est tellement vrai que les œuvres encyclopédiques nécessitent la collaboration d’un nombre imposant de savants, tous spécialisés dans l’étude de quelques questions très précises. Tel savant en paléontologie, par exemple, peut être un parfait ignorant en musique ; tel physicien de valeur peut ne rien connaître en sociologie. H. Fabre, le célèbre entomologiste, raconte, dans ses souvenirs, que Pasteur ignorait les métamorphoses du ver à soie lorsqu’on le chargea de combattre une maladie microbienne qui, tuant ce ver, ruinait les sériciculteurs du Midi, et comment il se fit expliquer ces notions tout élémentaires.

D’ailleurs combien de vrais savants, en dehors des officiels, qui n’ont jamais été consacrés par la Faculté ! Le petit inventeur, le chercheur, l’homme persévérant qui approfondit au-delà des limites connues la technique de son métier, le rêveur qui, à la suite de longues méditations et d’expériences multiples, aboutit à savoir davantage que tous ceux qui l’ont précédé, ne sont-ils pas des savants ? Des savants parfois raillés par les officiels, mais dont les découvertes bouleverseront le monde plus que ne le feront jamais les élucubrations de quelques dizaines de membres de l’Institut. Est-ce que Forest, l’inventeur du moteur à explosion, simple forgeron, n’était pas un savant ? Dire maintenant : tel savant grammairien croyait en Dieu ; tel autre, botaniste distingué, était déiste, de même ce troisième, dont la valeur en ichtyologie n’est contestée par personne ; est-ce que cela prouve l’existence de Dieu ? Cela prouve tout simplement que le grammairien, le botaniste, l’ichtyologue, n’ont probablement jamais apporté à l’étude du problème de Dieu la méthode rigoureuse qu’ils ont employée à leurs autres recherches et qu’ils sont restés, à ce point de vue, des produits du milieu, soumis, comme la majorité des humains, aux croyances, aux préjugés, aux opinions communes de leur entourage. Victor Ernest, répondant sur ce sujet à l’abbé Desgranges, disait : « La raison profonde qui enlève toute valeur à la preuve invoquée consiste dans l’indépendance des manifestations diverses de l’intelligence ; un savant de valeur peut n’avoir pas d’aptitudes philosophiques, comme être dépourvu d’aptitudes artistiques. Victor Hugo, un des plus grands génies poétiques, a fait montre d’une philosophie souvent puérile. Sainte Thérèse, mystique et hallucinaire, témoigne d’un esprit d’organisation remarquable dans la fondation de plusieurs couvents de femmes. Lamartine était réfractaire aux mathématiques. La Fontaine n’avait pas le sens des affaires. Et Rockefeller n’a pas celui de la poésie. Les croyances métaphysiques ou religieuses de Pasteur

ne l’empêchaient pas de procéder d’une façon rigoureuse et avec un esprit positif à ses expériences. Mais c’est à cette méthode rigoureuse, non à ses croyances, que Pasteur devait ses succès. Et rien ne démontre qu’il ait soumis ses croyances à cette méthode. »

La Science et la Foi. — « La raison et la foi sont de nature contraire. » (Voltaire, Dict. phil., art. âme.) Nous affirmons qu’il y a opposition absolue entre la Science et la Foi dans tous les domaines qui touchent de près ou de loin la question de Dieu. Et cela s’explique. Comment procèdent et la Science et la Foi dans la recherche de la vérité ? La Science part de zéro, tout terrain déblayé, net. Le savant se pose l’éternelle et féconde question : que sais-je ? Et, pour savoir, il expérimente. C’est par l’expérimentation, c’est-à-dire « l’emploi systématique de l’expérience », qu’il fait pas à pas son chemin. « L’expérimentation, préparée par les recherches des alchimistes, a fait la puissance et le développement rapide des sciences de la nature… La valeur et la puissance de l’expérimentation viennent d’abord de ce qu’elle réalise des conditions meilleures d’observation, en mettant le phénomène à l’échelle de nos moyens, en le produisant au moment voulu, et, autant de fois qu’il est nécessaire, ensuite et surtout de ce qu’elle a créé des séries de phénomènes, dans lesquelles la variation continue d’un élément donne des éléments très sûrs de comparaison ; par suite, en raison de ces variations, et aussi grâce aux déterminations très précises que permet la technique des expériences, aidée de toute la science acquise, elle réalise une analyse de plus en plus poussée du phénomène. » (Larousse.) Décomposer le phénomène, comparer de multiples réactions, regrouper les éléments dispersés, en deux mots faire l’analyse et la synthèse, voilà comment procède la Science. Elle n’admet donc pour vérité démontrée que ce que chacun, employant ses procédés, doit retrouver nécessairement. Certes, elle avance ainsi lentement ; mais le terrain est solide et sûr. Ce qu’elle gagne sur l’inconnu est définitivement gagné. On lui doit le merveilleux essor de l’esprit humain dans la période contemporaine. L’homme doit avoir, par la Science, la connaissance totale de l’Univers. « La grande épopée, à côté de laquelle toutes les autres pâlissent, c’est l’histoire de l’esprit humain s’élançant, de siècle en siècle, à la poursuite du vrai, atteignant un jour l’atome, un autre jour la galaxie, et dominant la matière par l’image intelligible qu’il en donne. » (Albert Bayet.)

Et la Foi ? Disons tout de suite que la Foi ne recherche pas la vérité ; elle la possède tout entière — ou plutôt elle croit la posséder. Nous lisons ceci dans l’Encyclopédie : « Les philosophes et les logiciens peuvent bien faire des distinctions entre la certitude et la foi. Ceux qui ont la foi n’accorderont jamais qu’ils ne sont pas certains que leur foi n’enveloppe pas la certitude. Il semble cependant que tout le monde peut admettre que, si la foi atteint la certitude, elle y arrive par d’autres chemins que la science proprement dite ou la raison. Avoir foi en un homme, en une institution, en une idée, en un système ; avoir foi dans l’avenir ; avoir une foi politique ou religieuse, toutes ces expressions supposent et impliquent que l’esprit fait usage d’autre chose que de la raison pour atteindre la vérité, qu’il est éclairé d’une autre lumière que celle qui brille pour la seule intelligence. » Cette « autre lumière » n’atteignant que quelques humains, vague à souhait, imprécise, indéfinissable, produit de l’imagination plus ou moins maladive et non de la raison, cette « grâce », c’est elle qui révèle la vérité ! Et, ici, comment ne pas s’étonner que cette « vérité », atteinte depuis si longtemps, repose sur des bases si peu sûres qu’il suffit du raisonnement méthodique d’un logicien pour la mettre en échec ; qu’il ait fallu, aux époques