gneur Claude de Lougni, par la miséricorde de Dieu, cardinal prêtre de la sainte Église romaine, du nom de Givry, évêque, duc de Langres et pair de France, moi, son vicaire général au spirituel et temporel, par l’autorité de la sainte et indivisible Trinité confiant en la miséricorde divine et plein de pitié, je somme, en vertu de la sainte croix, armé du bouclier de la foi, j’ordonne et je conjure, une première, une deuxième, et une troisième fois, toutes les mouches, vulgairement appelées urébires ou uribères, et toutes les autres bestioles nuisant aux fruits des vignes, qu’elles aient à cesser immédiatement de ravager, de ronger, de détruire et d’anéantir les branches, les bourgeons et les fruits ; de ne plus avoir ce pouvoir dans l’avenir ; de se retirer dans les endroits les plus reculés des forêts, de sorte qu’elles ne puissent plus nuire aux fidèles, et de sortir du territoire. Et si, par les conseils de Satan, elles n’obéissent pas à ces avertissements et continuent leurs ravages, au nom du Seigneur Dieu, et en vertu des pouvoirs ci-dessus indiqués, par l’Église, je maudis et lance la sentence de malédiction et d’anathème sur ces mouches urébires et leur postérité. » « La malédiction, ajoute Turmel (Hist. du Diable, p. 204), il va sans dire, c’était la peine de mort. »
Savants ? Certes oui, à l’époque, l’opinion de ces hommes-là faisait autorité dans toute la chrétienté. Ah ! ils ne possédaient pas ce « pernicieux penchant à la révolte » ; ils n’avaient pas de ces « opinions malsaines » que d’aucuns possédaient déjà. Ils ne méritaient que la bénédiction de Dieu. Mais si les connaissances humaines ont progressé, on ne doit rien à ces moines, à ces prêtres, à ces saints. L’évolution s’est faite malgré eux, contre eux. On doit tout, au contraire, aux hérétiques, non-conformistes, qui n’ont pas craint de « bouleverser le terrain de la foi », de « s’allier à Satan », et de braver les rigueurs de l’Inquisition, car ils voyaient poindre à travers les flammes des bûchers l’image ardente de la vérité.
Les savants contre l’Église — Toutes les fois qu’un esprit curieux, chercheur, hardi, arrive, par la logique de son raisonnement, à formuler des propositions qui s’opposent à l’Écriture, il trouve l’Église devant lui qui met tout en œuvre pour lui barrer la route. Aujourd’hui, la Bête est, en général, impuissante, et le savant se rit de sa ridicule sentence d’excommunication. Il n’en a pas toujours été ainsi. Il n’en serait pas de même si l’Église pouvait recouvrer son antique puissance. Les leçons du passé et les paroles des pontifes ne laissent aucun doute à ce sujet. C’est le cardinal Lépicier qui écrit dans son livre « De la stabilité et du progrès du dogme » (p. 194) : « Si les hérétiques professent publiquement leur hérésie et excitent les autres, par leur exemple et par leurs raisons à embrasser les mêmes erreurs, personne ne peut douter qu’ils ne méritent d’être séparés de l’Église par l’excommunication et d’être enlevés par la mort du milieu des vivants ; en effet, un homme mauvais est pire qu’une bête féroce et nuit davantage, comme dit Aristote ; et comme il faut tuer une bête sauvage, ainsi il faut tuer les hérétiques. »
C’est la même idée qu’exprimait Saint Augustin : « Qui de nous ne loue les lois rendues par les empereurs contre les sacrifices païens ? De telles impiétés ne méritent-elles pas le sacrifice capital ? » (Epistola, 93.)
Le pape Célestin Ier, dans sa lettre aux évêques de Calabre et de la Pouille, déclarait aussi : « Le peuple doit être enseigné et non pas écouté ; nous seuls avons le droit de lui apprendre ce qui est licite ou non. S’il se trouvait quelqu’un d’assez audacieux pour juger par lui-même les choses défendues par nous, il sentirait ce que peut la censure épiscopale : car si nos admoni-
Ainsi, l’esprit de l’Église, au long des siècles, n’a pas varié. L’Inquisition — qui a sa source dans la Bible — est en puissance dans la pensée des Pères de l’Église ; comme elle vit encore dans celle des évêques, cardinaux et papes. Elle est une conséquence logique du fanatisme de ces sectaires, hommes de foi, persuadés de posséder la vérité totale. Ah ! qu’on veuille faire un retour vers ce passé, où toute lumière semblait venir de la flamme tremblante des cierges brûlant dans les sanctuaires ! Qu’on se reporte, par la pensée, à ces époques de misère, où les âmes simples croyaient entrevoir dans leurs prières les joies éternelles du paradis, en compensation à leur existence toute de souffrance et de malheur ! Qu’on se représente la chrétienté à genoux, s’humiliant avec ferveur devant le Christ-Roi ; et qu’on suppose alors, en face des chefs tout-puissants, une frêle conscience humaine venant tout à coup formuler l’ombre d’un doute, ou même énoncer une certitude qui ébranle le dogme ; et on comprendra la terrible colère du Dieu pressentant sa fin, on comprendra la sauvage agression contre la pensée libre naissante, on comprendra le Saint-Office, la question du feu, la corde, les garrots, le supplice de l’eau, les pinces ardentes, l’emmuraillement ; on comprendra tout ! Il fallait bien peu de chose alors pour que l’audacieux pérît dans les plus affreux tourments. Quelques exemples, entre tant !
Le célèbre Pierre d’Abano enseignait (1250), à Padoue, la médecine et l’alchimie. Il fut dénoncé à l’Inquisition comme magicien et accusé de travailler de concert avec le diable. Il mourut avant la fin de son procès et, d’après quelques auteurs, son cadavre fut exhumé et brûlé par ordre de l’Inquisition (1316).
François Stabili Cecco, professeur à Bologne « par l’audace de sa science, sondait les choses défendues ». Il fut accusé d’attaquer la religion. Condamné à la peine du feu, il fut brûlé vif à Bologne.
Mais le procès le plus typique et que tout le monde connaît fut celui de Galilée. Né en 1554, à Pise, Galilée occupa, à 25 ans, la chaire de mathématiques à l’université de Padoue. Admirateur de Copernic, en 1597, il écrit à Képler : « J’ai recueilli beaucoup d’arguments et de preuves que je n’ose publier, car je redoute le sort échu à notre maître Copernic. » Il est l’auteur de nombreuses découvertes. Avec le télescope « sa vue plongeait dans l’infini ». On le surnomma « Le Christophe Colomb de l’empyrée ». L’Église romaine fut épouvantée. Quoi : cet homme osait saper les bases de la sainte religion ? L’Inquisition va « analyser et juger ces théories absurdes et impies ». C’est le cardinal Bellarmin qui parle : « Nous vous ordonnons de ne plus défendre et soutenir une théorie que la Bible condamne. » Après un silence de seize ans, il publie un nouvel ouvrage : « Quatre dialogues ». Dénoncé à l’Inquisition (10 fév. 1633), il est soumis à de nombreux interrogatoires et jeté dans les cachots du Saint-Office, puis condamné. Il faut connaître cette condamnation, ce monument de sottise et d’iniquité :
« Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ! Nous tous rassemblés en ce lieu, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, éclairés par les lumières du souverain pontife, nous décidons qu’aucun fidèle ne doit croire ni soutenir que le soleil est placé immobile au centre du monde ; nous décidons que cette opinion est fausse et absurde en théologie, aussi bien qu’hérétique, parce qu’elle est expressément contraire aux paroles de l’Écriture, et impliquerait une accusation d’ignorance envers Dieu, la source de toute science et le révélateur des livres saints. Nous défendons également d’enseigner que la terre n’est point placée au centre de l’univers, qu’elle n’est pas immobile et qu’elle a un mouvement journalier de rotation, parce que cette seconde proposition est,