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pour les mêmes motifs, fausse, absurde, même en philosophie, autant qu’erronée en matière de foi. »

Galilée s’agenouille et abjure ; il avait 70 ans ! « Et pourtant, elle tourne ! » Cri de la conscience, cri de la vérité qui, s’il n’a pas été prononcé par l’illustre savant, est la protestation de l’humanité pensante contre le dogme étouffant et absurde.

En prison, Galilée est obligé de réciter les psaumes de la pénitence. Puis, interné dans sa villa, toujours sous la surveillance de l’Inquisition, il écrit : « Ici, je suis vaincu par la tristesse et par une mélancolie immense. » Il meurt, aveugle, à 78 ans, surveillé par ses bourreaux jusqu’à son dernier souffle.

Voilà ce que fait l’Église des savants qui ne savent pas retrouver, dans le calme de leur laboratoire ou dans la profondeur des cieux, les traces de la main divine ; ou plutôt voilà ce qu’elle en ferait si elle pouvait redevenir souveraine. Car le savant, ici et là, se heurte nécessairement au dogme ; il démolit, sans que ce soit précisément son but, mais en passant, par surcroît, l’erreur embusquée derrière le psaume ou la prière. « Galilée ne fut point persécuté comme bon astronome, mais en qualité de mauvais théologien. On l’aurait laissé tranquillement faire marcher la terre s’il ne se fût point mêlé d’expliquer la Bible. » écrit Mallet du Pan, écrivain genevois et protestant, en 1784. Malheureusement, Galilée ne pouvait point être bon astronome sans que, en conséquence, il se révélât mauvais théologien.


L’autorité toujours contestable des savants. Savants officiels et autres. Leurs bévues. Leur doute. — D’une façon générale, il n’est pas de vérité absolue. Ce qui a été reconnu pendant des années et parfois des siècles comme l’expression même de la vérité est mis un jour en doute, et bientôt ne résiste plus aux investigations nouvelles. L’hypothèse ancienne, avec toutes ses conséquences fécondes, est désormais périmée ; un coin de l’inconnu est éclairé ; mais, à côté, c’est encore la nuit. Alors on découvre des routes parallèles inexplorées et, placé dans de nouvelles conditions de vie, on se rend compte que ce qui paraissait hier comme un roc indestructible présente de profondes lézardes, qu’il faut aller plus loin, regarder ailleurs et de façon différente. Il ne reste de l’antique créance qu’une poussière de vérité, brillante, précieuse, certes, mais si légère, si ténue ! Et l’on est surpris que si peu de chose ait suffi à alimenter pendant si longtemps les passions humaines.

Qu’on se représente seulement le chemin parcouru depuis Ptolémée jusqu’à Einstein. Avant Copernic et Galilée, toute l’antiquité a considéré la terre comme le centre immobile de l’univers. Einstein modifie, à son tour, la théorie newtonienne de la gravitation universelle. Ici, pourtant, le savant raisonne devant des réalités ; il peut vérifier ses hypothèses, constater l’exactitude ou la fausseté de ses calculs : l’univers entier est à la portée de son regard, ou le sera au fur et à mesure de la perfection des instruments d’optique. Mais que dire du Dieu-Esprit, insaisissable, impondérable, du Dieu éternellement caché ? Cela n’empêche pas certains savants d’affirmer qu’il existe. Il y aurait là, en vérité, de quoi troubler les âmes inquiètes, si l’on ne savait depuis longtemps ce qu’il faut penser de la science pontifiante plus ou moins officielle. Qu’on en juge par ces quelques faits :

Baumé, à l’Académie des Sciences, s’élève contre les théories « subversives » de Lavoisier. Celui-ci prétendait, en effet, que l’air est composé de deux éléments. Ne savait-on pas, depuis deux mille ans, qu’il était intangible, au même titre que l’eau et le feu ? Voltaire était allé encore plus loin : « J’ose regarder l’existence de l’air comme une chose peu probable. » (Dict. phil. Air.) Et il a démontré cette inexistence en sept points

bien développés. Il est vrai qu’il dit ailleurs (art. Amour de Dieu) : « Si chaque ergoteur voulait bien se dire à soi-même : Dans quelques années, personne ne se souciera de mes ergotismes, on ergoterait beaucoup moins. » On ne peut se condamner avec plus d’humour. Il semble que la docte Académie des Sciences (déjà nommée) a le monopole des bévues colossales et des hilarantes méprises. C’est elle qui s’opposa obstinément aux idées de Boucher de Perthes (1788–1868) et de ses précurseurs qui proclamaient l’existence de l’Homme fossile. Rien ne put la convaincre, ni les découvertes de Tournal, d’Emilien Dumas, de Christol, de Marcel de Serres, de Schmerling, ni l’obstination et les preuves qu’apportait Boucher de Perthes. Et cependant : « les innombrables découvertes faites depuis ont démontré l’exactitude de ses conclusions. » (Larousse). En somme, on pourrait presque affirmer qu’il n’est pas de savant plus hâté qu’un membre de l’Institut. Qui ne connaît aussi la fameuse séance où Du Moncel, le physicien, présenta le phonographe à cette même assemblée ? C’était le 11 mars 1878. M. Brouillaud se jeta sur l’opérateur, représentant d’Edison et s’écria en le saisissant à la gorge : « Misérable, nous ne serons pas dupes d’un ventriloque ! » Le dit Brouillaud, qui avait de la constance dans ses idées, déclara six mois plus tard, avec le sérieux de M. Homais : « Il n’y avait là que de la ventriloquie, car on ne pouvait admettre qu’un vil métal puisse remplacer le noble appareil de la phonation humaine. » On pourrait citer encore M. Thiers, ministre des Travaux publics en 1832, disant que les chemins de fer ne seraient jamais que des jouets pour amuser les Parisiens ; Arago, qui déclarait que la basse température des tunnels, avec le passage subit du chaud au froid, procurerait aux voyageurs des fluxions de poitrine ; d’autres encore qui prédisaient qu’au croisement de deux trains, l’air serait tellement comprimé que les voyageurs périraient asphyxiés ! Est-ce que la déclaration de l’Abbé Moreux, parue dans le Petit Journal du 8 avril 1918, prouve une grande élévation morale, digne d’un savant ? « Mais je gage que, lors de la ruée boche sur Amiens, nos artilleurs préféreraient encore « taper dans le tas » avec nos élégants obus de 75, qui n’empoisonnent pas à la façon des vitrioleurs, mais anéantissent proprement des bataillons entiers. » Faut-il rappeler enfin, plus près de nous, l’affaire dite « de Glozel ». On pouvait lire, dans les journaux du 9 mars 1931, le compte rendu de l’audience de la 12e Chambre correctionnelle, dans lequel nous trouvons ces phrases : « M. Dussaud, membre de la Société de Préhistoire de France, a expliqué comment, étant conservateur du Louvre, il a cru de son devoir d’étudier les objets de Glozel qui pouvaient être proposés aux collections nationales. Il a trouvé que c’étaient indiscutablement des faux et il l’a publiquement déclaré. Puis c’est un défilé à la barre de savants convaincus de l’authenticité des objets glozéliens : le docteur Gorlet, de Vichy, MM. Salomon Reinach, Romand, etc… Avec une conviction égale, les savants cités par la défense et qui sont notamment : MM. Vaison, Champion, Randoin, Maheu, sont venus affirmer que les objets trouvés à Glozel n’étaient que des faux grossiers. » Nous ne citerons pas les cas, très nombreux, où des savants renommés furent mystifiés par des prestidigitateurs, spirites, et autres charlatans.

Même lorsque le savant affirme qu’il croit, il se garde bien de baser sa croyance sur une démonstration rigoureuse, scientifique, de l’existence de Dieu. Au contraire, il dit : « Je crois en Dieu, parce que je crois en Dieu. » — Proposition inverse de celle de Le Dantec : « Je suis athée, parce que je suis athée ! » mais avec la différence qu’à celui-ci on ne peut pas demander de fournir des preuves d’une chose qu’il méconnaît, alors qu’on serait en droit d’être beaucoup plus sévère envers celui