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VAL
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les ont lieu actuellement la production et la consommation, ou plutôt par les conditions auxquelles sont astreints, pour entrer en rapport, le producteur et le consommateur réels. La fixation actuelle de la valeur n’a rien d’individualiste en soi. Elle ne dépend ni de ceux qui produisent ni de ceux qui consomment : elle dépend de ceux qui exploitent le travail d’autrui.

Une définition individualiste de la valeur. — Étant donné un milieu où (chaque individu étant considéré comme un producteur) le producteur possède à titre inaliénable le moyen de production, dispose à son gré et sans restriction aucune du résultat de son effort personnel — ne produit que ce qu’il est apte à produire par soi-même, qu’il travaille isolément ou en association ; étant donné un milieu où on ne connaît ni l’exploitation de l’homme par l’homme ou le milieu ou réciproquement, ni l’interventionnisme gouvernemental ou administratif à n’importe quel degré — sur quelles bases serait établie la valeur des utilités économiques ? Comment la définirait-on ?

Il est nécessaire de faire remarquer que dans pareil milieu humain, il n’y aurait plus d’accaparement possible — que l’épargne ne pourrait même pas se transformer en accumulation, vu la limitation des capacités productrices de l’unité humaine — qu’il n’y aurait plus en présence que des producteurs — non plus des acheteurs et des vendeurs — ou des associations de producteurs désireux de troquer l’utilité qu’ils produisent contre d’autres utilités qui leur font besoin.

Il est rationnel, dans ce cas, que la valeur soit l’expression normale de l’effort individuel du producteur, c’est-à-dire corresponde à ce que le produit a coûté de peine, de labeur, de travail. Proposée par le producteur-offrant, la valeur est discutée par le producteur-demandant, en raison de l’intensité plus ou moins vive de son besoin de l’utilité à laquelle elle s’applique.

Assigner à un produit une valeur qui corresponde à la peine qu’il a coûté, c’est l’équité même, car il est de toute évidence que sa confection plus ou moins parfaite dépend du soin qu’on y a apporté. Question de terrain et de phénomènes atmosphériques mise à part, un champ qu’on se sera donné du souci pour cultiver produira. — toutes choses étant égales — davantage que celui qu’on aura négligé. Et il en est de même dans tous les domaines de la production. Et la peine qu’a coûté un produit peut s’entendre non seulement de son obtention, mais encore de tous les efforts faits pour le présenter au consommateur. Baser la valeur d’un produit sur la peine qu’il a coûté, c’est de « consommateur » à « producteur » pratiquer la réciprocité, la base unique sur laquelle peuvent se fonder les rapports entre hommes animés de la volonté de ne léser jamais autrui. Évaluer un produit selon les efforts accomplis pour l’obtenir, cela revient à offrir pour telle utilité de consommation dont vous avez besoin, un produit on une valeur d’échange d’autant plus avantageuse ou profitable que cette utilité est mieux conditionnée.

Il est évident que dans les termes « effort individuel », « produit », « peine », « labeur », « travail », rentrent tous les éléments nécessaires à la détermination complète de la valeur : rareté de la matière première, frais de transports, amortissement d’outillage, etc…, quels qu’ils soient.

Régulateurs de la valeur. — S’il s’agit d’utilités d’usage courant provenant d’un grand nombre de producteurs, la concurrence est tout indiquée pour servir de régulateur à la valeur, laquelle variera alors au dedans de limites très étroites et ces variations seront généralement relatives à la qualité ou à la perfection d’exécution des objets offerts.

S’il s’agit d’objets d’usage moins courant, rares, précieux, spéciaux, s’adressant à un petit nombre de personnes, il est clair que la concurrence étant restreinte, la valeur serait l’objet de tractations plus étudiées entre

l’offrant et le demandant. Plus le producteur aurait montré d’originalité, d’initiative, de savoir-faire, de raffinement dans l’exécution de l’objet, plus la valeur de celui-ci s’en ressentirait. Il ne faut pas oublier, pour en revenir à la question du régulateur de la valeur, qu’aux associations de producteurs-offrants répondraient les associations de producteurs-demandants.

La concurrence — dans son sens absolu, — les associations de producteurs-demandants (ou consommateurs) — suffiraient, selon nous, dans un milieu individualiste, au rôle de régulateurs de valeur. S’il est vrai, en effet, que par suite de l’inexpérience du producteur le produit ne corresponde pas toujours à l’effort qu’il a coûté, il n’en est pas moins évident que par le jeu de la concurrence — une concurrence-émulation et non une concurrence-guerre-au-couteau — les négligents se trouveraient amenés naturellement à se soucier davantage de la qualité de leur production.

Raison d’être de la valeur mesurable. — A quoi servirait la faculté, pour le producteur, de fixer une valeur à son produit, si cette valeur n’était pas mesurable par une autre valeur ? Car — ne l’oublions pas — c’est cette qualité de mesurable qui rend un objet, une utilité économique, susceptible d’être échangée. On ne peut échanger, on n’échange pas, un objet dont on ne peut mesurer la valeur, peu importe le rapport auquel on a recours. Un roitelet nègre — s’il en existe encore — peut échanger un kilogramme de poudre d’or contre un habit d’académicien, ou bien une paire de défenses d’ivoire contre un bicorne de garçon de recettes ; il y a toujours un rapport entre les objets échangés, une valeur mesurable ; le kilogramme de poudre d’or par la défroque académique, la paire de défenses par le bicorne de l’encaisseur bancaire.

Un consommateur peut n’avoir pas besoin de l’objet même qu’il se procure, mais se l’approprier à titre d’instrument de troc destiné à se procurer une utilité qu’il trouvera chez un tiers qu’il sait soucieux d’obtenir ledit objet.

Il est donc utile, non seulement que la valeur du produit offert soit mesurable, mais qu’elle le soit de telle façon que le consommateur puisse, en l’échangeant, se procurer, le cas échéant, d’autres produits impossibles à obtenir, par exemple, dans l’endroit où a lieu d’échange.

Divers étalons de la mesure de la valeur. — Mesurable, mais par quoi ? Par une autre utilité ou objet de consommation. Et toutes sortes d’utilités ou d’objets de consommation — périssables et non périssables — peuvent servir de mesure à la valeur d’un produit donné. On peut estimer, s’il s’agit de la production en association, qu’une heure de travail moyen équivaut au temps nécessaire pour la production d’un demi-kg de blé par exemple — (à « Modern Times », colonie créée par l’individualiste américain Josiah Warren, le temps fixait la valeur. On présenta à M. Daniel Conway qui la visita vers 1860, un bon ainsi conçu : « Dû à X… (médecin) cinq heures de services professionnels ou 80 livres de blé » ) — ou de x kg d’avoine ou de x stères de bois, ou de x hg de houille, ou de x mètres d’une certaine qualité de drap, ou de x kg de fer, acier ou fonte. C’est-à-dire que si l’objet a coûté à fabriquer, transformer, façonner, transporter, etc, 6 heures, sa valeur est égale à 6 demi-kg de blé, ou à 6 x avoine, bois, houille, drap, etc.

On peut enfin avoir recours à un étalon de nature plus transportable et en revenir à un instrument d’échange employé de temps immémorial, c’est-à-dire les lingots des métaux rares et précieux, les moins oxydables comme le platine, l’or, l’argent. C’est ainsi que :

1 décagr. platine mesure x

1 décagr. or _______ ___ y

1 décagr. argent ___ ____ z

heures d’un travail moyen et normal.