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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.2.djvu/67

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SEN
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cela implique qu’il y a quelque chose de commun à tous les esprits, qui jugent d’après les mêmes lois.

Mais, alors, fallait-il dire en quoi consistait la raison ; pour cela, on établit la théorie de la connaissance, et partant de là, toute une philosophie. Que devenait, alors, la raison ? D’après ces théoriciens : l’ensemble des principes qui dirigent le raisonnement, et non pas toute l’intelligence ou la faculté de raisonner.

Kant distingua, lui, la Raison de l’Entendement pur, c’est-à-dire que, selon lui, l’ensemble des concepts et des principes a priori, sans lesquels la pensée est impossible, forme l’entendement pur : « La raison est une faculté active, qui, à l’aide de ces concepts et de ces principes, ordonne les objets de la connaissance. » Il distingue aussi la Raison spéculative, c’est-à-dire la Raison en tant qu’elle a pour fin le vrai et la Raison pratique, c’est-à-dire la Raison en tant qu’elle a pour fin le Bien et la Moralité ».

L’origine de ces idées ne fut pas sans éveiller de longues controverses, et Leibniz parla du principe de raison suffisante, c’est-à-dire qu’il maria le principe de causalité à celui du meilleur ; si bien que, selon lui, une chose ne peut être qu’à condition d’être possible, et pour autant qu’elle fasse partie du système de possibles, qui ne peut être que le meilleur entre tous.

Le sensualisme nia donc ces formes antérieures et supérieures aux données des sens, tandis que ses adversaires, avec des nuances de doctrines parfois importantes, l’affirmèrent.


Mais la sensibilité, prise dans son second sens, est la capacité de jouir ou de souffrir. Aussi, afin de la connaître, est-on amené à étudier les émotions, ces dernières étant en rapport évident avec les inclinations, parce qu’elles en dérivent, ou en sont les produits ; il ressort de là, qu’on est amené à étudier les tendances de toutes sortes, leurs transformations, leurs relations, soit avec le plaisir, soit avec la douleur, si l’on veut connaître la sensibilité.

C’est là le domaine de la psychologie générale qui recherchera les conditions anatomiques et physiologiques de la douleur physique. Pour cela, il sera nécessaire d’examiner les modifications de l’organisme qui succèdent aux douleurs physiques, les phénomènes de circulation, respiration, nutrition, mouvement ; il faudra établir si ce sont des effets de la douleur, ou si celle-ci n’est qu’un signe, examiner la nature de la douleur, si c’est une sensation ou une qualité de la sensation, car la douleur peut tout aussi bien résulter de la qualité de l’intensité, de l’excitation, comme elle peut être tributaire d’une forme de mouvement, d’une modification chimique. Les mêmes recherches seront faites en ce qui concerne le plaisir, à savoir si nous sommes en face de sensations ou de qualité, en rechercher les concomittants physiques ; et là ne s’arrêteront pas nos investigations, puisqu’on ne peut négliger les plaisirs ou les douleurs morbides, la psychologie normale comme la pathologie entreront comme apports. Nous voici devant les formes embryonnaires des tendances au suicide, devant les types mélancoliques, et enfin, il y a les états neutres.

Th. Ribot, dans son ouvrage : « La Psychologie des Sentiments » a consacré le chapitre VII à la nature de l’émotion. Après avoir recherché les éléments constitutifs d’émotion, il applique sa théorie aux émotions supérieures, religieuses, morales, esthétiques, intellectuelles. Son livre, copieux et formidablement documenté, nécessiterait une longue analyse, qu’il ne m’est pas permis de faire dans cette étude forcément condensée et incomplète. Les conditions intérieures, à savoir le rôle du cerveau, comme centre de vie psychique, celui du cœur comme centre de vie végétative, les interprétations physiologiques, comme les conditions extérieures, de l’émotion sont, chez Ribot, l’objet d’un examen

approfondi, et en d’autres chapitres, il a parlé de la mémoire affective, des sentiments et de l’association des idées, de l’abstraction des émotions ; ainsi, il en est arrivé à ce qu’il appelle la psychologie spéciale qui aura pour objet l’étude de l’instinct de la conservation sous sa forme physiologique défensive, la peur offensive, la colère, la sympathie et l’émotion tendre, le moi et les manifestations affectives, l’instinct sexuel, le passage des émotions simples aux émotions complexes. Mais, à côté de la sensibilité physique, qui se marque par les émotions qui ont leur cause unique dans les impressions organiques, il y a encore toute une psychologie des sentiments sociaux, moraux et religieux, esthétiques et intellectuels, la sensibilité morale, c’est-à-dire les émotions qui ont pour condition une idée. Dans un ouvrage qui porte comme titre « La Sensibilité individualiste », G. Palante a étudié quelques aspects de cette sensibilité individualiste. Il essaye, sans préoccupations dogmatiques, de formuler une définition de cette sensibilité individualiste : « La sensibilité individualiste est le contraire de la sensibilité sociale. Elle est une volonté d’isolement, et presque de misanthropie. » C’était donner à une définition un caractère purement négatif. Pour ceux qui s’imagineraient par là, ne trouver qu’égoïsme vulgaire, il n’est pas inutile, je pense, de faire ressortir ce qui sépare la sensibilité individualiste de l’arrivisme plat et banal : « La sensibilité individualiste suppose un vif besoin d’indépendance, de sincérité avec soi et avec autrui, qui n’est qu’une forme de l’indépendance d’esprit ; un besoin de discrétion et de délicatesse, qui procède d’un vif sentiment de la barrière qui sépare les « moi », qui les rend incommunicables et intangibles ; elle suppose aussi souvent, du moins dans la jeunesse, cet enthousiasme pour l’honneur et l’héroïsme, que Stendhal appelle « espagnolisme », et cette élévation de sentiments qui attirait au même Stendhal, ce reproche d’un de ses amis, « Vous tendez vos filets trop haut. »

Si l’homme ne se contente pas de penser, de méditer ; si essayer de comprendre l’univers ne le satisfait pas entièrement, tout en cherchant à modifier l’état existant dans lequel il vit, c’est qu’il est déterminé à cette action par le sentiment de ses besoins et de ses souffrances ; la sensibilité joue ici le rôle primordial. Il serait puéril de le contester.

L’anarchiste connaît, lui aussi, des affections intimes, des tendresses et des amitiés ; c’est au travers de ce rayonnement de vie sentimentale qu’il acquiert plus de vigueur et que son action devient plus forte. Un être aussi sensitif ne peut se résigner à accepter l’état de choses actuel ; il devient combatif, et se révolte contre l’iniquité existante.

Aug. Hamon, dans son livre sur la Psychologie de l’anarchiste-socialiste, après avoir questionné toute une série d’individus sur l’influence de l’esprit sensitif dans une résolution d’activité, a écrit : « Il se décèle aussi, en ces cérébralités anarchistes-socialistes, une grande sensibilité morale. L’adepte du socialisme-anarchiste est un sensitif développé et, par suite, un être éminemment sensible. Cette sensibilité étant jointe à l’esprit de révolte, s’exacerbe toujours, parce que l’individu constate son impuissance à modifier immédiatement ce qu’il qualifie de « mal social ». » Voici, d’autre part, ce que lui répondaient des individus interrogés : « L’idée libertaire avait pour moi un attrait majeur, parce qu’elle incarnait le principe d’harmonie sociale dans la liberté, la justice et l’amour… Et, bien que les misères de l’ambiance sociale ne m’aient pas inspiré directement, je suis bien persuadé qu’il était fatal que je devinsse libertaire, tôt ou tard, de par l’acuité des sensations douloureuses qu’eut, sur mon jugement, le spectacle romain de la putréfaction bourgeoise moderne. » (A. Veidaux.) — « Nature impressionnable…, je vis que le nombre de ceux qui étaient victimes de la société