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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.2.djvu/68

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SEN
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était immense, j’en souffris… » (A. Nicolet.) — « Ce m’est, aujourd’hui, un sujet d’étonnement profond de songer que j’aie pu voir souffrir et souffrir moi-même, tant que cela, sans avoir eu la haine immédiate du monde bourgeois, sans maudire et combattre la société crapuleuse qui nous opprime… » (E. D. H.) — « Enfant, je souffrais pour ceux qui sont opprimés et souffrent… » (A. Agresti.)

Ces quelques exemples montrent bien l’exaspération de sensibilité qui s’accroît et détermine soit à rester simple spectateurs, comme le font ceux qui épousent la sensibilité individualiste de G. Palante, soit à œuvrer dans un sens combatif individualiste ou communiste, quel que soit le tempérament optimiste ou pessimiste : ce sont des révoltés. Cet amour d’autrui, qui les conduit à l’action individuelle ou collective, pousse donc certains individus à tenter de modifier l’état de choses présent, à chercher à améliorer le sort qui est fait aux miséreux ; mais, comme ce « mal » qu’il perçoit est loin de se modifier immédiatement, malgré ses désirs ardents et impétueux, le sensible souffre de cette impuissance et cela n’est pas sans avoir des réactions profondes sur son individu. Il sent les souffrances personnelles et d’autrui ; il sent qu’il ne peut pas les soulager, et il veut leur disparition ; il sent que les moyens dont il dispose pour l’amélioration sociale ne donnent aucun résultat — au moins appréciable. Les sensations diverses peu à peu s’exaspèrent et provoquent l’exacerbation de la fonction cérébrale « sensibilité ».

L’examen attentif de la doctrine anarchiste, que ce soit chez un Tolstoï, un Most, un Sébastien Faure, un Reclus, un Kropotkine ou un Malatesta, confirme le caractère sensible de sa philosophie, et ce n’est, certes, pas la chose la moins belle ni la moins noble de cet idéal.

Cela nous réjouit pleinement, car elle conduit à cette révolte saine et loyale, qui caractérise d’une façon remarquable la lutte que les anarchistes livrent aux formes autoritaires et dogmatiques des manifestations sociales. — Hem Day.


Bibliographie. — Aug. Hamon : La Psychologie de l’Anarchiste-Socialiste ; Kant Emmanuel : Critique de la Raison pure ; Le Dantec Fél. : Le Conflit ; G. Palante : La sensibilité individualiste ; Th. Ribot : La Psychologie des sentiments ; Verlaine L. : L’âme des Bêtes. — H. D.


SENSUALISME n. m. Dans son sens philosophique, le sensualisme peut encore se dénommer sensationisme, c’est-à-dire explication de tous les processus de la pensée par le jeu infiniment varié des sensations.

L’objection que les spiritualistes opposent à cette façon, c’est qu’une quantité quelconque de sensations ne forme point une pensée et ne peut rien donner de plus, en fait de connaissance, que ce que toute collection d’images donnera : c’est-à-dire la connaissance d’une succession de faits statiques, et non pas une connaissance synthétique et dynamique de ces divers états. Autrement dit, vingt sensations successives ne formeront une pensée que si une sorte de vingt-et-unième sensation intérieure les lie et les synthétise en un tout compréhensif, qui est précisément la connaissance réelle ou conscience.

Cette critique, un peu surannée, du sensualisme oublie deux faits extrêmement importants dans l’étude de la pensée. Le premier, c’est que toute introspection n’est pratiquée que par des adultes chez qui tous les processus psychiques sont déjà organisés et ne se trouvent plus à l’état de formation ; ce qui en rend l’analyse extrêmement difficile. La deuxième, c’est que l’on considère, à tort, comme étant très connue la nature de l’image sensuelle conservée par la mémoire, et qu’on lui délimite ainsi son rôle, réduit au simple état de docu-

ment statique et passif. Les sensations étant exclues de la formation même de la pensée, on peut demander ce qu’est cette pensée, qui n’est pas sensation mais qui n’est rien sans elle.

Pour affirmer que toute sensation est dépourvue d’elle-même de facultés de rapport avec d’autres sensations, et que toute pensée est exempte de sensations, il faudrait d’abord démontrer cela expérimentalement ; et ensuite prouver, par de multiples observations sur des êtres de tous âges, que les sensations se fixent en eux sous forme de collection d’étiquettes, plus ou moins disparates, sans aucun lien entre elles.

Les expériences de Pavlov réduisent à néant cette vieille conception psychologique et nous savons que toutes les sensations (bien que nous en ignorions encore la nature intime) s’irradient dans les centres nerveux et s’interpénètrent perpétuellement. Comme le jeune être est soumis, depuis sa naissance, à des milliards de vibrations objectives qui se succèdent incessamment ; comme ces vibrations créent en lui des courants nerveux innombrables en qualités et en quantités et que ces courants sont liés plus ou moins intimement à son propre fonctionnement physiologique, il est aisé de comprendre que, avant d’atteindre les hautes spéculations de la pensée, l’être vit, sent, réagit et agit, démontrant ainsi que l’action, l’accommodement, l’adaptation sont les formes les plus réelles de la connaissance.

Il est certain que cette réaction de l’être n’est point donnée par la sensation pure. Le geste de l’enfant qui se gratte après une piqûre n’est pas contenu dans la sensation de la piqûre, mais ce geste est le résultat de nombreuses réactions antérieures, beaucoup moins adaptées et plus ou moins absurdes ou maladroites, ainsi qu’on peut le constater par l’observation des jeunes enfants. La sélection des actes s’opère dans le sens du meilleur écoulement de l’influx nerveux. De même que l’eau d’un torrent nouvellement formé s’écoule selon les lois de la moindre résistance, de même l’influx nerveux s’écoule par des voies quelque peu favorables au fonctionnement biologique et héréditaire de l’individu, sous peine de disparition de l’individu et de la race inadaptée.

Chaque sensation ultérieure n’est donc jamais une image totalement neuve et inconnue, une étiquette nouvelle. Elle est un composé complexe dont le connu s’irradie dans les voies habituelles et l’inconnu dans la substance cérébrale, où il prépare de futures liaisons nerveuses.

La pensée c’est donc du mouvement, de l’action. Si le Moi est la somme latente de toutes nos expériences passées, le Il paraît être le contact d’une partie de ce moi avec les excitations sensorielles dans le présent. Il suffit d’analyser profondément toute pensée pour s’apercevoir que cette connaissance, si mystérieuse pour les spiritualistes, n’a rien d’une connaissance absolue des choses ; qu’elle n’est qu’une façon de sentir, c’est-à-dire de relier des perceptions présentes à des perceptions passées. Comme nous savons que toute sensation est en liaison avec une infinité d’autres sensations simultanées ou successives, nous voyons que ces sensations ne forment point une mosaïque, une tapisserie figée et immobile, mais qu’elles créent une activité permanente par leurs variations incessantes, leur tension continuelle, leur intensité perpétuellement changeante.

La théorie des réflexes a l’avantage d’expliquer tous les processus de l’action des êtres vivants. Elle n’a pas besoin de connaître la nature exacte de l’image ; il lui suffit de constater qu’une modification de la substance nerveuse existe après chaque variation du milieu, perçue par l’être vivant et qu’une réaction plus ou moins appropriée de cet être est l’effet de cette excitation.

En ramenant toutes les manifestations de la pensée à des réflexes et en dernière analyse à du mouvement, on relie ainsi les états mentaux aux autres états phy-