l’Église dont ils n’ignoraient certes pas l’histoire ni la politique constante suivie rigoureusement à travers les âges, l’Église qu’ils n’avaient sûrement pas l’intention de combattre mais dont ils entendaient, au contraire, servir les ambitions, l’Église, misant habilement sur les deux tableaux, ne pouvait pas ne pas favoriser la diversion et la manœuvre tentée par ceux de ses fils qui, tout en restant fidèlement soumis à son autorité, estimaient pouvoir, en même temps, se parer du titre séduisant mais faux de démocrate, voire de socialiste !
Connaissant la crédulité, la naïveté d’un trop grand nombre de militants d’avant-garde, toujours enclins à se laisser piper par les déclamations d’insidieux bateleurs ; sachant aussi l’empressement que met le peuple à suivre ceux qui lui promettent l’impossible, nos Sillonistes jouaient le double jeu d’être tout à la fois les défenseurs d’une Église conservatrice et monarchiste et partisans de l’avènement d’une société égalitaire !
Oh ! ils n’en faisaient point ouvertement l’aveu ; mais, néanmoins, on se rendait suffisamment compte de leur dessein de situer leur Église sur le terrain social, dans l’unique but de lui faire conquérir, sur ce terrain, l’influence dominatrice dont elle avait si longtemps joui sur le terrain religieux.
La grande majorité des anarchistes et syndicalistes de l’époque finirent par saisir tout ce qu’il y avait de captieux et de contradictoire dans une aussi étrange attitude. Ce bloc enfariné ne nous dit rien qui vaille pensaient-ils.
Les Sillonistes, en effet, se flattaient de résoudre la question sociale à l’aide de la foi et de la morale catholiques. Or, durant cinq siècles au moins, en France, en Italie, en Espagne, le catholicisme tout-puissant n’avait rien tenté, rien fait dans ce sens. Il avait été, au contraire, le plus ferme soutien de tous les abus, de toutes les iniquités. S’il n’avait rien fait quand il pouvait tout, quelle serait son action maintenant qu’il avait perdu sa toute-puissance ?… Les Sillonistes prétendaient être en mesure, par la religion — et quelle religion ! — de fonder une société meilleure en amenant les individus à une vie morale plus haute et plus digne. Or cette prétention de la morale chrétienne se trouvait réduite à néant par dix-neuf siècles d’expérience. N’était-il point sage d’y renoncer et n’eût-il pas été insensé d’y persister ?
Au fait, qu’était-ce que cette parodie de démocratie dont l’instauration devenait subitement le rêve des réactionnaires catholiques constituant le Sillon ? Pour tous les rationalistes et libertaires, pour tous les êtres de bon sens et de jugement sain, la démocratie n’a véritablement de sens que si elle se propose avant tout l’émancipation économique, matérielle des hommes. La satisfaction des besoins physiques d’abord, le droit absolu à la vie. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », c’est-à-dire que, désormais, ce ne sera plus Dieu — ce Dieu qui est la consécration suprême de toutes les inégalités ! — qui dirigera les affaires des humains. L’idéal des grands révolutionnaires du XVIIIe siècle ne pouvait être que la Nation évoluant rationnellement sans maîtres célestes ou terrestres. C’est bien ainsi qu’ils conçurent la démocratie française. Or, si la tactique de l’Église changeait, s’efforçant de s’adapter aux circonstances du moment, ses dogmes, son but ne pouvaient varier. « Anathème à qui dira que l’Église peut se réconcilier avec la civilisation moderne, avec la science moderne ! Et, surtout, anathème à quiconque osera dire que l’Église peut évoluer ! »… Oui, l’Église est immuable ! Tous les successeurs de saint Pierre, depuis Pie VI jusqu’au Pontife actuel, tous ont condamné sans appel la Société moderne, tous ont déclaré, en de multiples encycliques, qu’il ne saurait y avoir entente ou simplement rappro-
L’hypocrisie, l’imposture des Sangnier et autres démocrates-chrétiens était donc flagrante ! On ne tarda point à s’en apercevoir. Si certains membres un peu naïfs de la Confédération Générale du Travail poussaient la candeur jusqu’à fraterniser avec Marc Sangnier dans les meetings, en revanche il suffisait de parcourir, de temps en temps, l’ « Éveil démocratique », l’organe officiel du parti, pour savoir ce que pensait, des militants syndicalistes les plus en vue, le chef du Sillon. On s’aperçut du « truc » dont usait et abusait le révolutionnaire papelard. Perfidie et duplicité de langage, toute l’habileté du leader silloniste était là. Il s’agissait, on le conçoit, de brouiller les cartes, de se muer en chauve-souris :
« Je suis oiseau : voyez mes ailes.
« Je suis souris ; vivent les rats ! »
Effectivement, suivant les lieux et les auditoires ce champion de la « Grande Doctrine Sociale » — doctrine que, d’ailleurs, il se garda toujours — et pour cause — de définir exactement — variait son programme et ses déclarations. Pardi ! il le fallait bien puisqu’on s’était donné pour tâche de concilier les inconciliables ! Malheureusement, le « truc » finit par s’user et… le tricheur apparut tel qu’il était vraiment : un jésuite accompli !…
Désireux à tout prix de s’attirer la sympathie des auditoires ouvriers, il lui fallait évidemment faire des concessions, concessions parfois compromettantes et même dangereuses. Il lui arrivait de « parler rouge », de feindre la rupture avec certaines disciplines imposées par l’Église, de dénoncer avec quelque imprudence, comme étant incompatibles, les théories subversives qu’il déclarait professer et la politique inflexible d’une Église dont il ne cessait pourtant de s’affirmer le fils très respectueusement soumis ! Cette comédie ne pouvait s’éterniser.
Se rendant tout à coup compte que le prestidigitateur social sur lequel, sans aucun doute, elle avait tout d’abord fondé certaines espérances, était brûlé bel et bien et que le petit jeu, assez ingénieux, auquel il s’était jusqu’alors livré pourrait dorénavant devenir un danger pour elle, l’Église jugea de bonne politique de condamner une Doctrine qui avait certainement fait du bruit un peu partout, un peu de mal aussi dans les milieux avancés, mais qui, par contre, avait aidé à démontrer, une fois de plus, et de la façon la plus éclatante, toute la duplicité, tout le machiavélisme de l’Église et des catholiques prétendument « libéraux » ou « sociaux », en même temps qu’elle donnait la preuve la meilleure de leur radicale impuissance à résoudre, sur le plan humain, le grand problème social ! Est-il besoin d’ajouter qu’en bon et loyal fils, très humblement soumis, de l’Église catholique, le farouche démocrate Marc Sangnier, imité de tous ses disciples, s’inclina, avec empressement et une touchante sollicitude, devant la décision de son chef bien-aimé ? Le Sillon était mort !… — A. Blicq.
SIMONIE — Le mot ne date que du christianisme, mais la chose est plus ancienne. Dès qu’il y eut des religions, des hommes, soi-disant choisis par leurs dieux, s’en servirent pour exploiter les masses ignorantes et craintives. Tous les clergés, dans tous les temps, vécurent du commerce du divin. Dans l’ancienne Grèce, les orphéotélesques, parmi tant d’autres, vendaient le moyen de se soustraire aux peines infernales. Leur dieu, Orphée, n’était-il pas revenu des enfers ? Les prêtres persans firent du Zend Avesta un manuel de simonie pour justifier leur despotisme. De même, les