Védas des Hindous et la Bible des Hébreux servirent surtout à faire des prêtres une caste privilégiée.
L’origine du mot simonie est dans le nom de Simon, dit le magicien, qui, d’après ce que racontent les Actes des Apôtres (VIII, 18–23), « voyant que l’imposition des mains des apôtres conférait l’Esprit, leur offrit de l’argent en disant : « Donnez-moi ce pouvoir, à moi aussi, afin que ceux à qui j’imposerai les mains reçoivent l’Esprit saint. » Mais Pierre lui répondit : « Périsse ton argent avec toi, puisque tu as cru que le don de Dieu s’achète ! » et il ajouta : « Tu es tout rempli de venin, tu es esclave de l’iniquité. »
On a dit, en faisant un jeu de mots, que Pierre avait été la pierre sur laquelle l’Église avait été bâtie, et on en a fait le premier pape. Il serait plus exact de dire que cette pierre et ce premier pape furent Simon, car l’Église fut comme lui, et elle est toujours remplie de venin et esclave de l’iniquité depuis qu’elle tient elle-même boutique de ce don de Dieu qu’il avait vainement tenté d’acheter aux apôtres. Mais cette Église, qui devint pratiquement simoniaque pour assurer sa durée et sa puissance temporelle, ne pouvait, moralement, désavouer son apôtre fondateur, et c’est ainsi que, repoussant l’argent de la main qu’elle élevait vers l’Esprit, et le recevant de l’autre main abaissée vers la Matière, elle a défini la simonie et a tiré sur elle ses canons de la façon suivante.
La simonie est « la volonté déterminée, valunta studiosa, le désir, d’acheter ou de vendre des choses spirituelles, comme les sacrements, ou des choses tenant aux spirituelles, comme les bénéfices et les vases sacrés. » La Grande Encyclopédie, qui reproduit cette définition, dit aussi : « La plupart des anciens canonistes constate que dès que l’Église eut des revenus, la simonie s’y introduisit, d’abord par l’ordination, parce que, étant faite uniquement en vue d’un office déterminé, elle procurait alors les biens et les hommes qui furent attachés plus tard aux bénéfices ; ensuite par la collation des bénéfices. » Le pape Grégoire Ier, dit le Grand, qui régna au VIe siècle et qui fut surtout un grand simoniaque, distingua trois formes principales de la simonie : celle munus a manu, remise ou promesse expresse ou tacite d’argent ou de tout autre objet faisant partie du domaine et du commerce des hommes ; celle munus ab obsequio, récompense ou attente d’un service ; celle munus a lingua, qui fait conférer un bénéfice non à cause du mérite du sujet, mais par la recommandation d’un tiers. Le crime de simonie est si grave aux yeux de l’Église, que tous ceux qui le commettent, quel que soit leur rang dans la hiérarchie ecclésiastique ou laïque, sont excommuniés ipso-facto, c’est-à-dire retranchés, chassés de l’Église par l’excommunication latæ sententiæ qui est portée d’avance, sans jugement ni sentence, et ils ne peuvent plus avoir de rapports avec les chrétiens quand ils ont été dénoncés. Personne ne doit alors prier pour eux, ils ne peuvent recevoir les sacrements ni être enterrés en terre bénite. Leurs élections ou provisions sont nulles ; ils perdent tous leurs titres et fonctions ; les bénéfices qu’ils en tiraient deviennent vacants et peuvent être accordés à d’autres.
Ces précisions ne sont pas inutiles pour bien montrer toute la gravité de la simonie, au point de vue de l’Église, et pour permettre à des mécréants comme nous de constater et de s’étonner que cette Église, après une condamnation aussi formelle et aussi farouche, se soit accommodée et s’accommode toujours de ce crime au point d’en avoir fait la base de sa constitution matérielle. Car on peut dire que sans la simonie l’Église n’aurait jamais existé comme puissance temporelle. Toute son activité sociale en est le produit. Comme disait Catherine de Sienne, elle a résumé les dix commandements en un seul : Da pecuniam, donne de l’argent !
L’Église est comme les gouvernements qui condamnent ce « crime », la guerre, et le mettent « hors la loi », mais qui ne se sont jamais occupés que de faire la guerre et de préparer, par les fourberies les plus odieuses, la prochaine « dernière » après la précédente. L’Église n’existe que par et pour la pratique de ce « crime » la simonie. Il n’est pas une grâce que ses ouailles puissent demander au ciel sans qu’elles aient à payer tribut. Jésus disait à ceux qui l’écoutaient de s’adresser directement à Dieu, en priant dans leur chambre. Les premiers chrétiens se réunissaient simplement chez l’un d’eux pour commenter la parole de Dieu et prier en commun. Mais comment se serait constitué le parasitisme de la grasse vermine des prébendiers du divin, des postulatori di santi, si ces pratiques évangéliques avaient continué ? La simonie fit leur fortune. Le chroniqueur Commynes gémissait sur les générosités de Louis XI pour l’Église, « prenant ainsi aux pauvres pour donner à ceux qui n’en avaient nul besoin ». Rabelais s’indignait en voyant combien Rome savait subtilement tirer l’or de France par la vertu des décrétales, et comment les « papimanes » savaient s’engraisser de la sottise universelle. « Pagare ! pagare ! — Payez ! payez ! chantent les cloches. » disait P. L. Courier. C’est ce que ne cessent pas de chanter les cloches de l’Ile Sonnante (Rome) et du monde entier.
L’Église, pour qui la simonie est un crime absolu et sans rémission, a su se tirer cyniquement de la contradiction où elle se mettait en la pratiquant. Il n’est pas un de ses conciles, pas un de ses papes, pas un de ses bedeaux qui ne l’ait condamnée… chez les autres, chez celui qu’on ne frappera jamais, ou qui, si on le frappe parce qu’il faut de temps en temps un bouc émissaire, sera un pauvre diable sans importance et trop niais pour savoir s’élever à ces hauteurs où la simonie devient une vertu. C’est ainsi que l’Église a fait des saints de tant de personnages qui étaient, de par ses canons, excommuniés ipso facto.
Il n’y a pas plus lieu de s’étonner de l’attitude de l’Église quant à la simonie qu’à propos de ses autres turpitudes, et pas davantage de voir tant de pauvres d’esprit acheter aux mercantis du divin leurs prières, leurs miracles, leur eau bénite, leurs places dans le chemin de fer ou l’avion du paradis, leurs grigris, leurs fromages, leurs liqueurs, leurs orviétans contre les douleurs, la teigne, la colique, les chancres, les petits vers intestinaux, le pipi au lit et cent autres agréments dont Dieu, « qui aime tant les hommes », les a comblés pour leur prouver sa bonté infinie. Mais ce qui doit nous étonner, c’est que tant de gens qui ne sont pas des imbéciles ou des coquins, qui composent même une élite intellectuelle possédant personnellement une foi véritable et une conscience insoupçonnable, puissent toujours considérer l’Église comme une force spirituelle et une autorité morale inattaquables. Ce qui doit nous étonner, c’est que ces gens puissent se taire, ne pas crier de honte et de dégoût, et se faire ainsi les complices passifs de la corruption de cette Église appelée « infaillible », sans doute parce qu’elle a depuis longtemps consommé toutes les faillites.
Ils sont tout de même nombreux ceux qui ont crié leur honte et leur dégoût, depuis l’apôtre Barnabé dont une lettre, que l’Église tient bien inutilement pour apocryphe, dénonça prophétiquement, dès le Ier siècle, les turpitudes dont elle se souillerait. Sont-ils apocryphes aussi les écrits des premiers Pères, particulièrement de Jérôme, reprochant aux gens d’église leurs façons de s’enrichir par leurs manœuvres auprès des riches veuves ou héritières dont ils recueillaient donations et héritages ? Jérôme appelait Rome « Babylone, courtisane empourprée », et son clergé « le Sénat des pharisiens ». Grégoire de Tours a écrit que le roi Chilpéric tenta de s’opposer à ces pratiques. Ce fut