Page:Faure - Histoire de l’art. L’Art médiéval, 1921.djvu/21

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eaux et des pierres. En Occident, au contraire, l’invasion de l’âme humaine par la force de la nature ne pouvait prendre, au sein du christianisme organisé en système politique, qu’une allure insurrectionnelle. Et c’est par là que l’âme chrétienne a imprimé une trace profonde dans la forme de notre esprit.

En enseignant la haine de la vie, le christianisme multiplia notre puissance à la vivre quand les fatalités de l’évolution économique et politique des sociétés occidentales les conduisirent à prendre contact avec la vie pour adapter leurs organes à des fonctions nouvelles et assurer à leurs besoins de nouvelles satisfactions. Nos sens avaient gardé mille ans le silence, mille ans la sève humaine avait été refoulée dans nos cœurs, l’esprit avait accumulé pendant mille ans, dans une épouvantable solitude, un monde de désirs confus, d’intuitions inexprimées, de fièvres mal éteintes qui firent jaillir l’amour de lui, quand il ne put plus le contenir, avec l’ivresse des bêtes des bois prisonnières qu’on rend à la liberté. Il n’est pas dans l’histoire de plus magnifique spectacle que cette humanité se ruant sur la forme avec une frénésie sainte pour la féconder de nouveau.

C’est là qu’il faut chercher l’origine des différences qui nous frappent quand nous considérons dans leur ensemble les manifestations de l’art antique et celles de l’art médiéval, surtout dans l’Inde et l’Europe de l’Ouest. Le monde antique n’avait jamais prohibé l’amour de la forme, il était arrivé par elle, au contraire, d’un effort progressif, harmonieux, continu aux généralisations philosophiques formulées par les sculpteurs d’Athènes vers le milieu du siècle d’Eschyle, de Sophocle et de Phidias. L’Égypte, retenue par la théocratie en des cadres métaphysiques dont il était interdit de sortir, avait étudié l’homme dans sa structure, défini pour toujours la forme de l’ombre qu’il projettera sur la terre tant que le soleil luira sur lui. La Grèce, libérée du dogme, avait scruté les relations qui unissent l’homme à la nature, retrouvé dans les volumes et les gestes des formes vivantes les lois qui déterminent l’harmonie dans la révolution des astres, le déroulement des profils terrestres,