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Les Plaines du Penjaub

cithares en bois de cèdre, accompagnant la psalmodie des versets sacrés, d’une ritournelle grêle au son cuivré. Les fidèles, faisant trois fois le tour du sanctuaire, passent derrière le grand prêtre en lui remettant des fleurs, des aumônes : il les pose un instant sur les bibles et les leur rend sanctifiées par l’attouchement de la prose divine. Un prêtre nous fait monter aux coupoles du bâtiment ; des milliers de pigeons roucoulent doucement sur le toit, leurs jabots ardoisés gonflés de riz, qu’ils s’enhardissent à aller picorer jusqu’aux pieds des officiants.

En bas, c’est une vie, un mouvement incessant, coloré, plein de douceur et de senteur, c’est une expansion de foi naïve, sincère, qui émeut l’âme et la rafraîchit. Sur la chaussée chaude de soleil est venu s’asseoir un clerc, un babou, habillé richement, il tourne la tête et son pauvre visage apparaît lancéolé de plaques blanches, de pourriture dévorante : la lèpre rongeuse. Un petit enfant se presse dans ses bras, sans souci de la hideuse maladie, il joue, il rit : son fils sans doute. Et voici que passe un « ascète » nu, un « jogui » barbouillé de cendres ; aussitôt l’homme repousse l’enfant, il se traîne pour baiser de ses lèvres répugnantes les pieds du bienheureux. « Chaque jour, me dit le prêtre, attentif à mes côtés, ce maudit, sans se lasser, essaie, par la puissance de ces saints, d’obtenir la guérison de son inexorable mal. »

Autour du lac, longeant le quai, sont disposés les bâtiments où logent les prêtres, qu’on aperçoit, par groupes de cinq à six, lisant les « Grunts », à l’ombre des ficus, sur un ton plaintif et rauque.

Plus loin, c’est une école en plein air. Autour du maître, un vieux Sik à barbe blanche qui somnole, étendu sur une peau de tigre, entouré de verges en plumes de paon, des marmots de tout âge grouillent sur le sol de marbre. Les frimousses éveillées disparaissent dans l’ombre des gros turbans roses et mauves qu’une application passagère courbe sur des planchettes enduites de blanc d’Espagne. Ils écrivent un chapitre des livres saints que leur dicte un sous-maître à peine âgé de 10 ans. Celui-ci, armé d’une règle, se promène gravement entre ses élèves, assénant de droite et de gauche quelques coups secs sur les mains paresseuses. Sa tâche d’éducateur et de justicier imprime à sa menue personne un cachet de dignité grave qui s’allie bien à son bel atavisme guerrier et aux paroles de vérité auxquelles sa lecture initie ses petits compagnons.