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LIVRE v.

admiré : on résolut de le faire roi. Il s’en défendit sans s’émouvoir : il dit qu’il préférait les douceurs d’une vie privée à l’éclat de la royauté ; que les meilleurs rois étaient malheureux en ce qu’ils ne faisaient presque jamais les biens qu’ils voulaient faire, et qu’ils faisaient souvent, par la surprise des flatteurs, les maux qu’ils ne voulaient pas. Il ajouta que si la servitude est misérable, la royauté ne l’est pas moins, puisqu’elle est une servitude déguisée. Quand on est roi, disait-il, on dépend de tous ceux dont on a besoin pour se faire obéir. Heureux celui qui n’est point obligé de commander ! Nous ne devons qu’à notre seule patrie, quand elle nous confie l’autorité, le sacrifice de notre liberté, pour travailler au bien public.

Alors les Crétois, ne pouvant revenir de leur surprise, lui demandèrent quel homme ils devaient choisir. Un homme, répondit-il, qui vous connaisse bien, puisqu’il faudra qu’il vous gouverne, et qui craigne de vous gouverner. Celui qui désire la royauté ne la connaît pas ; et comment en remplira-t-il les devoirs, ne les connaissant point ? Il la cherche pour lui ; et vous devez désirer un homme qui ne l’accepte que pour l’amour de vous.

Tous les Crétois furent dans un étrange étonnement de voir deux étrangers qui refusaient la royauté, recherchée par tant d’autres ; ils voulurent savoir avec qui ils étaient venus. Nausicrate, qui les avait conduits depuis le port jusqu’au cirque où l’on célébrait les jeux, leur montra Hasaël avec lequel Mentor et moi nous étions venus de l’île de Chypre. Mais leur étonnement fut encore bien plus grand, quand ils surent que Mentor avait été esclave d’Hasaël ; qu’Hasaël, touché de la sagesse et de la vertu de son esclave, en avait fait son conseil et son meilleur ami ; que cet esclave mis en liberté était le même qui venait de