Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/139

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
télémaque.

ne vous attache point à elle ? Qu’est-ce donc qui vous trouble ? pourquoi voulez-vous mourir ? pourquoi avez-vous parlé devant la déesse avec tant de transport ? Je ne vous accuse point de mauvaise foi ; mais je déplore votre aveuglement. Fuyez, Télémaque, fuyez ! on ne peut vaincre l’amour qu’en fuyant. Contre un tel ennemi, le vrai courage consiste à craindre et à fuir ; mais à fuir sans délibérer, et sans se donner à soi-même le temps de regarder jamais derrière soi. Vous n’avez pas oublié les soins que vous m’avez coûtés depuis votre enfance, et les périls dont vous êtes sorti par mes conseils : ou croyez-moi, ou souffrez que je vous abandonne. Si vous saviez combien il m’est douloureux de vous voir courir à votre perte ! Si vous saviez tout ce que j’ai souffert pendant que je n’ai osé vous parler ! la mère qui vous mit au monde souffrit moins dans les douleurs de l’enfantement. Je me suis tu ; j’ai dévoré ma peine ; j’ai étouffé mes soupirs, pour voir si vous reviendriez à moi. Ô mon fils ! mon cher fils ! soulagez mon cœur ; rendez-moi ce qui m’est plus cher que mes entrailles ; rendez-moi Télémaque, que j’ai perdu ; rendez-vous à vous-même. Si la sagesse en vous surmonte l’amour, je vis, et je vis heureux ; mais si l’amour vous entraîne malgré la sagesse, Mentor ne peut plus vivre.

Pendant que Mentor parlait ainsi, il continuait son chemin vers la mer ; et Télémaque, qui n’était pas encore assez fort pour le suivre de lui-même, l’était déjà assez pour se laisser mener sans résistance. Minerve, toujours cachée sous la figure de Mentor, couvrant invisiblement Télémaque de son égide, et répandant autour de lui un rayon divin, lui fit sentir un courage qu’il n’avait point encore éprouvé depuis qu’il était dans cette île. Enfin, ils arrivèrent dans un endroit de