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LIVRE vi.

l’île où le rivage de la mer était escarpé ; c’était un rocher toujours battu par l’onde écumante. Ils regardèrent de cette hauteur si le vaisseau que Mentor avait préparé était encore dans la même place ; mais ils aperçurent un triste spectacle.

L’Amour était vivement piqué de voir que ce vieillard inconnu non-seulement était insensible à ses traits, mais encore lui enlevait Télémaque : il pleurait de dépit, et il alla trouver Calypso errante dans les sombres forêts. Elle ne put le voir sans gémir, et elle sentait qu’il rouvrait toutes les plaies de son cœur. L’Amour lui dit : Vous êtes déesse, et vous vous laissez vaincre par un faible mortel qui est captif dans votre île ! pourquoi le laissez-vous sortir ? Ô malheureux Amour, répondit-elle, je ne veux plus écouter tes pernicieux conseils : c’est toi qui m’as tirée d’une douce et profonde paix, pour me précipiter dans un abîme de malheurs. C’en est fait ; j’ai juré par les ondes du Styx que je laisserais partir Télémaque. Jupiter même, le père des dieux, avec toute sa puissance, n’oserait contrevenir à ce redoutable serment. Télémaque sort de mon île : sors aussi, pernicieux enfant, tu m’as fait plus de mal que lui !

L’Amour, essuyant ses larmes, fit un souris moqueur et malin. En vérité, dit-il, voilà un grand embarras ! laissez-moi faire ; suivez votre serment, ne vous opposez point au départ de Télémaque. Ni vos nymphes ni moi n’avons juré par les ondes du Styx de le laisser partir. Je leur inspirerai le dessein de brûler ce vaisseau que Mentor a fait avec tant de précipitation. Sa diligence, qui nous a surpris, sera inutile. Il sera surpris lui-même à son tour ; et il ne lui restera plus aucun moyen de vous arracher Télémaque.