Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
132
TÉLÉMAQUE.

manger ; elle avait déjà jeté du poison dans sa coupe d’or pendant qu’il était allé à la porte. Pygmalion, selon sa coutume, la fit boire la première ; elle but sans crainte, se fiant au contre-poison, Pygmalion but aussi, et peu de temps après il tomba dans une défaillance.

Astarbé, qui le connaissait capable de la tuer sur le moindre soupçon, commença à déchirer ses habits, à arracher ses cheveux, et à pousser des cris lamentables ; elle embrassait le roi mourant ; elle le tenait serré entre ses bras ; elle l’arrosait d’un torrent de larmes ; car les larmes ne coûtaient rien à cette femme artificieuse. Enfin, quand elle vit que les forces du roi étaient épuisées, et qu’il était comme agonisant, dans la crainte qu’il ne revint, et qu’il ne voulût la faire mourir avec lui, elle passa des caresses et des plus tendres marques d’amitié à la plus horrible fureur ; elle se jeta sur lui, et l’étouffa. Ensuite elle arracha de son doigt l’anneau royal, lui ôta le diadème, et fit entrer Joazar, à qui elle donna l’un et l’autre. Elle crut que tous ceux qui avaient été attachés à elle ne manqueraient pas de suivre sa passion, et que son amant serait proclamé roi. Mais ceux qui avaient été les plus empressés à lui plaire étaient des esprits bas et mercenaires, qui étaient incapables d’une sincère affection : d’ailleurs, ils manquaient de courage, et craignaient les ennemis qu’Astarbé s’était attirés ; enfin ils craignaient encore plus la hauteur, la dissimulation et la cruauté de cette femme impie : chacun, pour sa propre sûreté, désirait qu’elle pérît.

Cependant tout le palais est plein d’un tumulte affreux ; on entend partout les cris de ceux qui disent : Le roi est mort. Les uns sont effrayés, les autres courent aux armes : tous paraissent en peine des suites, mais ravis de cette