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TÉLÉMAQUE.

la mit en prison ; les plus sages vieillards furent commis pour examiner toutes ses actions.

On découvrit avec horreur qu’elle avait empoisonné et étouffé Pygmalion : toute la suite de sa vie parut un enchaînement continuel de crimes monstrueux. On allait la condamner au supplice qui est destiné à punir les grands crimes dans la Phénicie ; c’est d’être brûlé à petit feu : mais quand elle comprit qu’il ne lui restait plus aucune espérance, elle devint semblable à une Furie sortie de l’enfer ; elle avala du poison qu’elle portait toujours sur elle, pour se faire mourir, en cas qu’on voulut lui faire souffrir de longs tourments. Ceux qui la gardaient aperçurent qu’elle souffrait une violente douleur : ils voulurent la secourir ; mais elle ne voulut jamais leur répondre ; elle fit signe qu’elle ne voulait aucun soulagement. On lui parla des justes dieux, qu’elle avait irrita : au lieu de témoigner la confusion et le repentir que ses fautes méritaient, elle regarda le ciel avec mépris et arrogance, comme pour insulter aux dieux. La rage et l’impiété étaient peintes sur son visage mourant : on ne voyait plus aucun reste de cette beauté qui avait fait le malheur de tant d’hommes. Toutes ses grâces étaient effacées ; ses yeux éteints roulaient dans sa tête, et jetaient des regards farouches ; un mouvement convulsif agitait ses lèvres, et tenait sa bouche ouverte d’une horrible grandeur ; tout son visage, tiré et rétréci, faisait des grimaces hideuses ; une pâleur livide et une froideur mortelle avaient saisi tout son corps. Quelquefois elle semblait se ranimer, mais ce n’était que pour pousser des hurlements. Enfin elle expira, laissant remplis d’horreur et d’effroi tous ceux qui la virent. Ses mânes impies descendirent sans doute dans ces tristes lieux où les cruelles Danaïdes puisent éternellement de l’eau dans