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TÉLÉMAQUE.

vous ôtent point la raison, et qui ne vous rendent jamais semblable à une bête en fureur. Maintenant il est à propos de vous délasser de toutes vos peines. Goûtez avec complaisance pour Adoam les plaisirs qu’il vous offre ; réjouissez-vous, Télémaque, réjouissez-vous. La sagesse n’a rien d’austère ni d’affecté : c’est elle qui donne les vrais plaisirs ; elle seule les sait assaisonner pour les rendre purs et durables, elle sait mêler les jeux et les ris avec les occupations graves et sérieuses ; elle prépare le plaisir par le travail, et elle délasse du travail par le plaisir. La sagesse n’a point de bonté de paraître enjouée quand il le faut.

En disant ces paroles, Mentor prit une lyre, et en joua avec tant d’art, qu’Achitoas, jaloux, laissa tomber la sienne de dépit ; ses yeux s’allumèrent, son visage troublé changea de couleur : tout le monde eût aperçu sa peine et sa honte, si la lyre de Mentor n’eût enlevé l’âme de tous les assistants. À peine osait-on respirer, de peur de troubler le silence, et de perdre quelque chose de ce chant divin : on craignait toujours qu’il finirait trop tôt. La voix de Mentor n’avait aucune douceur efféminée ; mais elle était flexible, forte, et elle passionnait jusqu’aux moindres choses.

Il chanta d’abord les louanges de Jupiter, père et roi des dieux et des hommes, qui d’un signe de sa tête ébranle l’univers. Puis il représenta Minerve qui sort de sa tête, c’est-à-dire la sagesse, que ce dieu forme au dedans de lui-même, et qui sort de lui pour instruire les hommes dociles. Mentor chanta ces vérités d’une voix si touchante, et avec tant de religion, que toute l’assemblée crut être transportée au plus haut de l’Olympe, à la face de Jupiter, dont les regards sont plus perçants que son tonnerre.