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LIVRE vii.

Ensuite il chanta le malheur du jeune Narcisse, qui devenant follement amoureux de sa propre beauté, qu’il regardait sans cesse au bord d’une fontaine, se consuma lui-même de douleur, et fut changé en une fleur qui porte son nom. Enfin, il chanta aussi la funeste mort du bel Adonis, qu’un sanglier déchira, et que Vénus, passionnée pour lui, ne put ranimer en faisant au ciel des plaintes amères.

Tous ceux qui l’écoutèrent ne purent retenir leurs larmes, et chacun sentait je ne sais quel plaisir en pleurant. Quand il eut cessé de chanter, les Phéniciens étonnés se regardaient les uns les autres. L’un disait : C’est Orphée ; c’est ainsi qu’avec une lyre il apprivoisait les bêtes farouches et enlevait les bois et les rochers ; c’est ainsi qu’il enchanta Cerbère, qu’il suspendit les tourments d’Ixion et des Danaïdes, et qu’il toucha l’inexorable Pluton, pour tirer des enfers la belle Eurydice. Un autre s’écriait : Non, c’est Linus, fils d’Apollon. Un autre répondait : Vous vous trompez, c’est Apollon lui-même. Télémaque n’était guère moins surpris que les autres ; car il n’avait jamais cru que Mentor sût, avec tant de perfection, chanter et jouer de la lyre.

Achitoas, qui avait eu le loisir de cacher sa jalousie, commença à donner des louanges à Mentor ; mais il rougit en le louant, et il ne put achever son discours. Mentor qui voyait son trouble, prit la parole, comme s’il eût voulu l’interrompre, et tâcha de le consoler, en lui donnant toutes les louanges qu’il méritait. Achitoas ne fut point consolé ; car il sentît que Mentor le surpassait encore plus par sa modestie que par les charmes de sa voix.

Cependant Télémaque dit à Adoam : Je me souviens que