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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/292

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LIVRE xii.

dit-il. Aussitôt je m’écriai encore : Quoi, morts ! Hélas ! que me dis-tu ? La cruelle guerre moissonne les bons, et épargne les méchants. Ulysse est donc en vie ? Thersite l’est aussi sans doute ? Voilà ce que font les dieux ; et nous les louerions encore !

Pendant que j’étais dans cette fureur contre votre père, Néoptolème continuait à me tromper, il ajouta ces tristes paroles : Loin de l’armée grecque, où le mal prévaut sur le bien, je vais vivre content dans la sauvage île de Scyros. Adieu : je pars. Que les dieux vous guérissent ! Aussitôt je lui dis : Ô mon fils, je te conjure, par les mânes de ton père, par ta mère, par tout ce que tu as de plus cher sur la terre, de ne me laisser pas seul dans ces maux que tu vois. Je n’ignore pas combien je te serai à charge ; mais il y aurait de la honte à m’abandonner. Jette-moi à la proue, à la poupe, dans la sentine même, partout où je t’incommoderai le moins. Il n’y a que les grands cœurs qui sachent combien il y a de gloire à être bon. Ne me laisse point en un désert où il n’y a aucun vestige d’homme ; mène-moi dans ta patrie, ou dans l’Eubée, qui n’est pas loin du mont Œta, de Trachine, et des bords agréables du fleuve Sperchius : rends-moi à mon père. Hélas ! je crains qu’il ne soit mort. Je lui avais mandé de m’envoyer un vaisseau : ou il est mort, ou bien ceux qui m’avaient promis de le lui dire ne l’ont pas fait. J’ai recours à toi, ô mon fils ! souviens-toi de la fragilité des choses humaines. Celui qui est dans la prospérité doit craindre d’en abuser, et secourir les malheureux.

Voilà ce que l’excès de la douleur me faisait dire à Néoptolème ; il me promit de m’emmener. Alors je m’écriai encore : Ô heureux jour ! ô aimable Néoptolème, digne de la gloire de son père ! Chers compagnons de ce voyage, souf-