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TÉLÉMAQUE.

Cependant le fils d’Ulysse, l’épée à la main, s’enfonce dans les ténèbres horribles. Bientôt il aperçoit une faible et sombre lueur, telle qu’on la voit pendant la nuit sur la terre : il remarque les ombres légères qui voltigent autour de lui, et il les écarte avec son épée ; ensuite il voit les tristes bords du fleuve marécageux dont les eaux bourbeuses et dormantes ne font que tournoyer. Il découvre sur ce rivage une foule innombrable de morts privés de la sépulture, qui se présentent en vain à impitoyable Charon. Ce dieu, dont la vieillesse éternelle est toujours triste et chagrine, mais pleine de vigueur, les menace, les repousse, et admet d’abord dans la barque le jeune Grec. En entrant, Télémaque entend les gémissements d’une ombre qui ne pouvait se consoler.

Quel est donc, lui dit-il, votre malheur ? qui étiez-vous sur la terre ? J’étais, lui répondit cette ombre, Nabopharsan, roi de la superbe Babylone. Tous les peuples de l’Orient tremblaient au seul bruit de mon nom ; je me faisais adorer par les Babyloniens, dans un temple de marbre, où j’étais représenté par une statue d’or, devant laquelle on brûlait nuit et jour les plus précieux parfums de l’Éthiopie. Jamais personne n’osa me contredire sans être aussitôt puni : on inventait chaque jour de nouveaux plaisirs pour me rendre la vie plus délicieuse. J’étais encore jeune et robuste, hélas ! que de prospérités ne me restait-il pas encore à goûter sur le trône ? Mais une femme que j’aimais, et qui ne m’aimait pas, m’a bien fait sentir que je n’étais pas dieu ; elle m’a empoisonné : je ne suis plus rien. On mit hier, avec pompe, mes cendres dans une urne d’or ; on pleura ; on s’arracha les cheveux ; on fit semblant de vouloir se jeter dans les flammes de mon bûcher, pour mourir avec moi ; on va encore