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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/359

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TÉLÉMAQUE.

et Thyeste a rempli cette maison d’horreur et de sang. Hélas ! combien un crime en attire-t-il d’autres ! Agamemnon, revenant, à la tête des Grecs, du siège de Troie, n’a pas eu le temps de jouir en paix de la gloire qu’il avait acquise. Telle est la destinée de presque tous les conquérants. Tous ces hommes que tu vois ont été redoutables dans la guerre ; mais ils n’ont point été aimables et vertueux : aussi ne sont-ils que dans la seconde demeure des Champs-Élysées.

Pour ceux-ci, ils ont régné avec justice, et ont aimé leurs peuples : ils sont les amis des dieux. Pendant qu’Achille et Agamemnon, pleins de leurs querelles et de leurs combats, conservent encore ici leurs peines et leurs défauts naturels ; pendant qu’ils regrettent en vain la vie qu’ils ont perdue y et qu’ils s’affligent de n’être plus que des ombres impuissantes et vaines, ces rois justes, étant purifiés par la lumière divine dont ils sont nourris, n’ont plus rien à désirer pour leur bonheur. Ils regardent avec compassion les inquiétudes des mortels ; et les plus grandes affaires qui agitent les hommes ambitieux leur paraissent comme des jeux d’enfants : leurs cœurs sont rassasiés de la vérité et de la vertu, qu’ils puisent dans la source. Ils n’ont plus rien à souffrir ni d’autrui, ni d’eux-mêmes ; plus de désirs, plus de besoins, plus de craintes : tout est fini pour eux, excepté leur joie, qui ne peut finir.

Considère, mon fils, cet ancien roi Inachus qui fonda le royaume d’Argos. Tu le vois avec cette vieillesse si douce et si majestueuse : les fleurs naissent sous ses pas ; sa démarche légère ressemble au vol d’un oiseau ; il tient dans sa main une lyre d’ivoire, et, dans un transport éternel, il chante les merveilles des dieux. Il sort de son cœur et de sa bouche un parfum exquis ; l’harmonie de sa lyre et