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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/374

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LIVRE xv.

parce qu’Adraste lui avait enlevé sa femme, qu’il aimait éperdument, et qui était égale en beauté à Vénus même. Il était résolu, ou de faire périr Adraste et de reprendre sa femme, ou de périr lui-même. Il avait des intelligences secrètes pour entrer la nuit dans la tente du roi, et pour être favorisé dans son entreprise par plusieurs capitaines dauniens ; mais il croyait avoir besoin que les rois alliés attaquassent en même temps le camp d’Adraste, afin que, dans ce trouble, il pût plus facilement se sauver, et enlever sa femme. Il était content de périr, s’il ne pouvait l’enlever, après avoir tué le roi.

Aussitôt que Dioscore eut expliqué aux rois son dessein, tout le monde se tourna vers Télémaque, comme pour lui demander une décision. Les dieux, répondit-il, qui nous ont préservés des traîtres, nous défendent de nous en servir. Quand même nous n’aurions pas assez de vertu pour détester la trahison, notre seul intérêt suffirait pour la rejeter : dès que nous l’aurons autorisée par notre exemple, nous mériterons qu’elle se tourne contre nous : dès ce moment, qui d’entre nous sera en sûreté ? Adraste pourra bien éviter le coup qui le menace, et le faire retomber sur les rois alliés. La guerre ne sera plus une guerre ; la sagesse et la vertu ne seront plus d’aucun usage : on ne verra plus que perfidie, trahison et assassinats. Nous en ressentirons nous-mêmes les funestes suites, et nous les mériterons, puisque nous aurons autorisé le plus grand des maux. Je conclus donc qu’il faut renvoyer le traître à Adraste. J’avoue que ce roi ne le mérite pas ; mais toute l’Hespérie et toute la Grèce, qui ont les yeux sur nous, méritent que nous tenions cette conduite pour en être estimés. Nous nous devons à nous-mêmes, et plus encore aux justes dieux, cette horreur de la perfidie.