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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/377

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TÉLÉMAQUE.

les cœurs. La campagne était pleine de piques hérissées, semblables aux épis qui couvrent les sillons fertiles dans le temps des moissons. Déjà s’élevait un nuage de poussière qui dérobait peu à peu aux yeux des hommes la terre et le ciel. La confusion, l’horreur, le carnage, l’impitoyable mort, s’avançait.

À peine les premiers traits étaient jetés, que Télémaque, levant les yeux et les mains vers le ciel, prononça ces paroles : Ô Jupiter, père des dieux et des hommes, vous voyez de notre côté la justice et la paix, que nous n’avons point eu honte de chercher. C’est à regret que nous combattons ; nous voudrions épargner le sang des hommes ; nous ne haïssons point cet ennemi même, quoiqu’il soit cruel, perfide et sacrilège. Voyez, et décidez entre lui et nous : s’il faut mourir, nos vies sont dans vos mains : s’il faut délivrer l’Hespérie et abattre le tyran, ce sera votre puissance et la sagesse de Minerve, votre fille, qui nous donnera la victoire ; la gloire vous en sera due. C’est vous qui, la balance en main, réglez le sort des combats : nous combattons pour vous ; et, puisque vous êtes juste, Adraste est plus votre ennemi que le nôtre. Si votre cause est victorieuse, avant la fin du jour le sang d’une hécatombe entière ruissellera sur vos autels.

Il dit, et à l’instant il poussa ses coursiers fougueux et écumants dans les rangs les plus pressés des ennemis. Il rencontra d’abord Périandre, Locrien, couvert d’une peau de lion qu’il avait tué dans la Cilicie, pendant qu’il y avait voyagé : il était armé, comme Hercule, d’une massue énorme ; sa taille et sa force le rendaient semblable aux géants. Dès qu’il vit Télémaque, il méprisa sa jeunesse et la beauté de son visage. C’est bien à toi, dit-il, jeune efféminé, à nous disputer la gloire des combats !