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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/382

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LIVRE xv.

dans les prés : ses yeux étaient déjà presque éteints, et sa voix défaillante. Alcée, son gouverneur, qui était auprès de lui, le soutint comme il allait tomber, et n’eut le temps que de le mener entre les bras de son père. Là, il voulut parler, et donner les derrières marques de sa tendresse ; mais, en ouvrant la bouche, il expira.

Pendant que Philoctète répandait autour de lui le carnage et l’horreur pour repousser les efforts d’Adraste, Nestor tenait serré entre ses bras le corps de son fils : il remplissait l’air de ses cris, et ne pouvait souffrir la lumière. Malheureux, disait-il, d’avoir été père, et d’avoir vécu si longtemps ! Hélas ! cruelles destinées, pourquoi n’avez-vous pas fini ma vie, ou à la chasse du sanglier de Calydon, ou au voyage de Colchos, ou au premier siège de Troie ? Je serais mort avec gloire et sans amertume. Maintenant je traîne une vieillesse douloureuse, méprisée et impuissante ; je ne vis plus que pour les maux ; je n’ai plus de sentiment que pour la tristesse. Ô mon fils ! ô mon fils ! ô cher Pisistrate ! quand je perdis ton frère Antiloque, je t’avais pour me consoler : je ne t’ai plus ; je n’ai plus rien, et rien ne me consolera ; tout est fini pour moi. L’espérance, seul adoucissement des peines des hommes, n’est plus un bien qui me regarde. Antiloque, Pisistrate, ô chers enfants, je crois que c’est aujourd’hui que je vous perds tous deux ; la mort de l’un rouvre la plaie que l’autre avait faite au fond de mon cœur. Je ne vous verrai plus ! qui fermera mes yeux ? qui recueillera mes cendres ? Ô Pisistrate ! tu es mort, comme ton frère, en homme courageux ; il n’y a que moi qui ne puis mourir.

£n disant ces paroles, il voulut se percer lui-même d’un dard qu’il tenait ; mais on arrêta sa main : on lui arracha le corps de son fils ; et comme cet infortuné vieillard