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TÉLÉMAQUE.

tombait en défaillance, on le porta dans sa tente, où, ayant un peu repris ses forces, il voulut retourner au combat ; mais on le retint malgré lui.

Cependant Adraste et Philoctète se cherchaient ; leurs yeux étaient étincelants comme ceux d’un lion et d’un léopard qui cherchent à se déchirer l’un l’autre dans les campagnes qu’arrose le Caïtre. Les menaces, la fureur guerrière, et la cruelle vengeance, éclatent dans leurs yeux farouches ; ils portent une mort certaine partout où ils lancent leurs traits ; tous les combattants les regardent avec effroi. Déjà ils se voient l’un l’autre, et Philoctète tient en main une de ces flèches terribles qui n’ont jamais manqué leur coup dans ses mains, et dont les blessures sont irrémédiables : mais Mars, qui favorisait le cruel et intrépide Adraste, ne put souffrir qu’il pérît sitôt ; il voulait, par lui, prolonger les horreurs de la guerre, et multiplier les carnages. Adraste était encore dû à la justice des dieux, pour punir les hommes et pour verser leur sang.

Dans le moment où Philoctète veut l’attaquer, il est blessé lui-même par un coup de lance que lui donne Amphimaque, jeune Lucanien, plus beau que le fameux Nirée, dont la beauté ne cédait qu’à celle d’Achille parmi tous les Grecs qui combattirent au siège de Troie. À peine Philoctète eut reçu le coup, qu’il tire sa flèche contre Amphimaque ; elle lui perça le cœur. Aussitôt ses beaux yeux noirs s’éteignirent, et furent couverts des ténèbres de la mort : sa bouche, plus vermeille que les roses dont l’aurore naissante sème l’horizon, se flétrit ; une pâleur affreuse ternit ses joues ; ce visage si tendre et si gracieux se défigura tout à coup. Philoctète lui-même en eut pitié. Tous les combattants gémirent en voyant ce jeune homme tom-