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LIVRE xvi.

pour les demander : ce qui irrite la douleur en un temps l’adoucit en un autre.

Ensuite Télémaque entra dans l’assemblé des rois ligués, où chacun garda le silence pour l’écouter dès qu’on l’aperçut ; il en rougit, et on ne pouvait le faire parler. Les louanges qu’on lui donna, par des acclamations publiques, sur tout ce qu’il venait de faire, augmentèrent sa honte ; il aurait voulu se pouvoir cacher ; ce fut la première fois qu’il parut embarrassé et incertain. Enfin, il demanda comme une grâce qu’on ne lui donnât plus aucune louange. Ce n’est pas, dit-il, que je ne les aime, surtout quand elles sont données par de si bons juges de la vertu ; mais c’est que je crains de les aimer trop : elles corrompent les hommes ; elles les remplissent d’eux-mêmes ; elles les rendent vains et présomptueux. Il faut les mériter et les fuir : les meilleures louanges ressemblent aux fausses. Les plus méchants de tous les hommes, qui sont les tyrans, sont ceux qui se sont fait le plus louer par des flatteurs. Quel plaisir y a-t-il à être loué comme eux ? Les bonnes louanges sont celles que vous me donnerez en mon absence, si je suis assez heureux pour en mériter. Si vous me croyez véritablement bon, vous devez croire aussi que je veux être modeste et craindre la vanité : épargnez-moi donc, si vous m’estimez, et ne me louez pas comme un homme amoureux des louanges.

Après avoir parlé ainsi, Télémaque ne répondit plus rien à ceux qui continuaient de l’élever jusques au ciel ; et, par un air d’indifférence, il arrêta bientôt les éloges qu’on lui donnait. On commença à craindre de le fâcher en le louant : ainsi les louanges finirent ; mais l’admiration augmenta. Tout le monde sut la tendresse qu’il avait témoignée à Pisistrate, et les soins qu’il avait pris de lui