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LIVRE xvi.

Il écoutait patiemment ces discours ; mais les rochers de Thrace et de Thessalie ne sont pas plus sourds et plus insensibles aux plaintes des amants désespérés, que Télémaque l’était à ces offres. Pour moi, répondait-il, je ne suis touché ni des richesses, ni des délices ; qu’importe de posséder une plus grande étendue de terre, et de commander à un plus grand nombre d’hommes ? on n’en a que plus d’embarras, et moins de liberté : la vie est assez pleine de malheurs pour les hommes les plus sages et les plus modérés, sans y ajouter encore la peine de gouverner les autres hommes, indociles, inquiets, injustes, trompeurs et ingrats. Quand on veut être le maître des hommes pour l’amour de soi-même, n’y regardant que sa propre autorité, ses plaisirs et sa gloire, on est impie, on est tyran, on est le fléau du genre humain. Quand, au contraire, on ne veut gouverner les hommes que selon les vraies règles, pour leur propre bien, on est moins leur maître que leur tuteur ; on n’en a que la peine, qui est infinie, et on est bien éloigné de vouloir étendre plus loin son autorité. Le berger qui ne mange point le troupeau, qui le défend des loups en exposant sa vie, qui veille nuit et jour pour le conduire dans les bons pâturages, n’a point d’envie d’augmenter le nombre de ses moutons, et d’enlever ceux du voisin : ce serait augmenter sa peine. Quoique je n’aie jamais gouverné, ajoutait Télémaque, j’ai appris par les lois, et par les hommes sages qui les ont faites, combien il est pénible de conduire les villes et les royaumes. Je suis donc content de ma pauvre Ithaque : quoiqu’elle soit petite et pauvre, j’aurai assez de gloire, pourvu que j’y règne avec justice, piété et courage ; encore même n’y régnerai-je que trop tôt. Plaise aux dieux que mon père, échappé à la fureur des vagues,