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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/398

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LIVRE xvi.

inhumains. De plus, considérez que, si vous entreprenez de partager entre vous cette conquête, vous réunissez contre vous tous les peuples voisins : votre ligue, formée pour défendre la liberté commune de l’Hespérie contre l’usurpateur Adraste, deviendra odieuse ; et c’est vous-mêmes que tous les peuples accuseront, avec raison, de vouloir usurper la tyrannie universelle.

Mais je suppose que vous soyez victorieux et des Dauniens, et de tous les autres peuples, cette victoire vous détruira ; voici comment. Considérez que cette entreprise vous désunira tous : comme elle n’est point fondée sur la justice, vous n’aurez point de règle pour borner entre vous les prétentions de chacun ; chacun voudra que sa part de la conquête soit proportionnée à sa puissance ; nul d’entre vous n’aura assez d’autorité parmi les autres pour faire paisiblement ce partage : voilà la source d’une guerre dont vos petits-enfants ne verront pas la fin. Ne vaut-il pas bien mieux être juste et modéré, que de suivre son ambition avec tant de péril, et au travers de tant de malheurs inévitables ? La paix profonde, les plaisirs doux et innocents qui l’accompagnent, l’heureuse abondance, l’amitié de ses voisins, la gloire qui est inséparable de la justice, l’autorité qu’on acquiert en se rendant par sa bonne foi l’arbitre de tous les peuples étrangers, ne sont-ce pas des biens plus désirables que la folle vanité d’une conquête injuste ? Ô princes ! ô rois ! vous voyez que je vous parle sans intérêt : écoutez donc celui qui vous aime assez pour vous contredire, et pour vous déplaire en vous représentant la vérité.

Pendant que Télémaque parlait ainsi, avec une autorité qu’on n’avait jamais vue en nul autre, et que tous les princes, étonnés et en suspens, admiraient la sagesse