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TÉLÉMAQUE.

tenir ferme, il faut que vous jugiez que votre droit est bon : d’un autre côté, les Sybarites ne relâchent rien ; ils soutiennent que leur droit est certain. Dans cette opposition de sentiments, il faut qu’un arbitre, choisi par les parties, vous accommode, ou que le sort des armes décide ; il n’y a point de milieu. Si vous entriez dans une république où il n’y eût ni magistrats ni juges, et où chaque famille se crût en droit de se faire justice à elle-même, par violence, sur toutes ses prétentions contre ses voisins, vous déploreriez le malheur d’une telle nation, et vous auriez horreur de cet affreux désordre, où toutes les familles s’armeraient les unes contre les autres. Croyez-vous que les dieux regardent avec moins d’horreur le monde entier, qui est la république universelle, si chaque peuple, qui n’y est que comme une grande famille, se croit en plein droit de se faire, par violence, justice à soi-même sur toutes ses prétentions contre les autres peuples voisins ? Un particulier qui possède un champ, comme l’héritage de ses ancêtres, ne peut s’y maintenir que par l’autorité des lois, et par le jugement du magistrat ; il serait très-sévèrement puni comme un séditieux, s’il voulait conserver par la force ce que la justice lui a donné. Croyez-vous que les rois puissent employer d’abord la violence pour soutenir leurs prétentions, sans avoir tenté toutes les voies de douceur et d’humanité ? La justice n’est-elle pas encore plus sacrée et plus inviolable pour les rois, par rapport à des pays entiers, que pour les familles, par rapport à quelques champs labourés ? Sera-t-on injuste et ravisseur, quand on ne prend que quelques arpents de terre ? sera-t-on juste, sera-t-on héros, quand on prend des provinces ? Si on se prévient, si on se flatte, si on s’aveugle dans les petits intérêts de particuliers, ne doit-on pas encore plus craindre