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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/431

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TÉLÉMAQUE.

cissement, répondit Télémaque, que j’aimerais mieux qu’Idoménée apprît notre départ par vous que par moi.

Mentor lui dit aussitôt : Vous vous trompez, mon cher Télémaque ; vous êtes né comme les enfants des rois nourris dans la pourpre, qui veulent que tout se fasse à leur mode, et que toute la nature obéisse à leurs volontés, mais qui n’ont la force de résister à personne en face. Ce n’est pas qu’ils se soucient des hommes, ni qu’ils craignent par bonté de les affliger ; mais c’est que, pour leur propre commodité, ils ne veulent point voir autour d’eux des visages tristes et mécontents. Les peines et les misères des hommes ne les touchent point, pourvu qu’elles ne soient pas sous leurs yeux ; s’ils en entendent parler, ce discours les importune et les attriste. Pour leur plaire, il faut toujours dire que tout va bien : et pendant qu’ils sont dans leurs plaisirs, ils ne veulent rien voir ni entendre qui puisse interrompre leurs joies. Faut-il reprendre, corriger, détromper quelqu’un, résister aux prétentions et aux passions injustes d’un homme importun ; ils en donneront toujours la commission à quelque autre personne : plutôt que de parler eux-mêmes avec une douce fermeté dans ces occasions, ils se laisseraient plutôt arracher les grâces les plus injustes ; ils gâteraient leurs affaires les plus importantes, faute de savoir décider contre le sentiment de ceux auxquels ils ont affaire tous les jours. Cette faiblesse qu’on sent en eux fait que chacun ne songe qu’à s’en prévaloir : on les presse, on les importune, on les accable, et on réussit en les accablant. D’abord on les flatte et on les encense pour s’insinuer ; mais dès qu’on est dans leur confiance, et qu’on est auprès d’eux dans des emplois de quelque autorité, on les mène loin, on leur impose le joug : ils en gémissent, ils veulent souvent le secouer ; mais ils le