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LIVRE xviii.

languissent dans une oisiveté obscure, et qui deviendraient de grands hommes, si l’émulation et l’espérance du succès les animaient au travail ! Combien y a-t-il d’hommes que la misère, et l’impuissance de s’élever par la vertu, tentent de s’élever par le crime ! Si donc vous attachez les récompenses et les honneurs au génie et à la vertu, combien des sujets se formeront d’eux-mêmes ! Mais combien en formerez-vous en les faisant monter de degré en degré, depuis les derniers emplois jusqu’aux premiers ! Vous exercerez les talents ; vous éprouverez l’étendue de l’esprit, et la sincérité de la vertu. Les hommes qui parviendront aux plus hautes places auront été nourris sous vos yeux dans les inférieures. Vous les aurez suivis toute leur vie, de degré en degré ; vous jugerez d’eux, non par leurs paroles, mais par toute la suite de leurs actions.

Pendant que Mentor raisonnait ainsi avec Télémaque, Ils aperçurent un vaisseau phéacien qui avait relâché dans une petite île déserte et sauvage bordée de rochers affreux. En même temps les vents se turent, les plus doux zéphirs mêmes semblèrent retenir leurs haleines ; toute la mer devint unie comme une glace ; les voiles abattues ne pouvaient plus animer le vaisseau ; l’effort des rameurs, déjà fatigués, était inutile ; il fallut aborder en cette île, qui était plutôt un écueil, qu’une terre propre à être habitée par des hommes. En un autre temps moins calme, on n’aurait pu y aborder sans un grand péril.

Les Phéaciens, qui attendaient le vent, ne paraissaient pas moins impatients que les Salentins de continuer leur navigation. Télémaque s’avance vers eux sur ces rivages escarpés. Aussitôt il demande au premier homme qu’il rencontre, s’il n’a point vu Ulysse, roi d’Ithaque, dans la maison du roi Alcinoüs.