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LIVRE ii.

témoins de ma victoire, voulurent que je me revêtisse de la peau de ce terrible lion.

Le bruit de cette action, et celui du beau changement de tous nos bergers, se répandit dans toute l’Égypte ; il parvint même jusqu’aux oreilles de Sésostris. Il sut qu’un de ces deux captifs, qu’on avait pris pour des Phéniciens, avait ramené l’âge d’or dans ces déserts presque inhabitables. Il voulut me voir : car il aimait les Muses ; et tout ce qui peut instruire les hommes touchait son grand cœur. Il me vit ; il m’écouta avec plaisir ; il découvrit que Métophis l’avait trompé par avarice : il le condamna à une prison perpétuelle, et lui ôta toutes les richesses qu’il possédait injustement. Oh qu’on est malheureux, disait-il, quand on est au-dessus du reste des hommes ! souvent on ne peut voir la vérité par ses propres yeux : on est environné de gens qui l’empêchent d’arriver jusqu’à celui qui commande ; chacun est intéressé à le tromper ; chacun, sous une apparence de zèle, cache son ambition. On fait semblant d’aimer le roi, et on n’aime que les richesses qu’il donne : on l’aime si peu que, pour obtenir ses faveurs, on le flatte et on le trahit.

Ensuite Sésostris me traita avec une tendre amitié, et résolut de me renvoyer en Ithaque avec des vaisseaux et des troupes, pour délivrer Pénélope de tous ses amants. La flotte était déjà prête ; nous ne songions qu’à nous embarquer. J’admirais les coups de la fortune, qui relève tout à coup ceux qu’elle a le plus abaissés. Cette expérience me faisait espérer qu’Ulysse pourrait bien revenir enfin dans son royaume après quelque longue souffrance. Je pensais aussi en moi-même que je pourrais encore revoir Mentor, quoiqu’il eût été emmené dans les pays les plus inconnus de l’Éthiopie. Pendant que je retardais un peu mon départ,