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FABLES.

et que, quand dans l’opulence et la grandeur on perd la simplicité, l’innocence et la modération, alors le cœur et la conscience, qui sont les vrais siéges du bonheur, deviennent la proie du trouble, de l’inquiétude, de la honte et du remords.





VIII. Voyage dans l’île des Plaisirs.




Après avoir longtemps vogué sur la mer Pacifique, nous aperçûmes de loin une île de sucre avec des montagnes de compote, des rochers de sucre candi et de caramel, et des rivières de sirop qui coulaient dans la campagne. Les habitants, qui étaient fort friands, léchaient tous les chemins, et suçaient leurs doigts après les avoir trempés dans les fleuves. Il y avait aussi des forêts de réglisse, et de grands arbres d’où tombaient des gaufres que le vent emportait dans la bouche des voyageurs, si peu qu’elle fût ouverte. Comme tant de douceurs nous parurent fades, nous voulûmes passer en quelque autre pays où l’on pût trouver des mets d’un goût plus relevé. On nous assura qu’il y avait, à dix lieues de là, une autre île où y avait des mines de jambons, de saucisses et de ragoûts poivrés. On les creusait comme on creuse les mines d’or dans le Pérou. On y trouvait aussi des ruisseaux de sauces à l’oignon. Les murailles des maisons sont des croûtes de pâté. Il y pleut du vin couvert quand le temps est chargé ; et, dans les plus beaux jours, la rosée du matin est toujours de vin blanc, semblable au vin grec ou à celui de Saint-Laurent. Pour passer dans cette île, nous fîmes mettre sur le port de celle d’où nous voulions partir douze hommes d’une grosseur prodigieuse, et qu’on avait endormis : ils soufflaient si fort en ronflant, qu’ils remplirent nos voiles d’un vent favorable. À peine fûmes-nous arrivés dans l’autre île, que nous trouvâmes sur le rivage des marchands qui vendaient de l’appétit ; car on en manquait souvent parmi tant de ragoûts. Il y avait aussi d’autres gens qui vendaient le sommeil. Le prix en était réglé tant par heure ;