Aller au contenu

Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
LIVRE iii.

aux yeux de ta mère et aux miens, si tu dois un jour te corrompre et abandonner la vertu ! Ô mes amis ! continua-t-il, je vous laisse ce fils qui m’est si cher ; ayez soin de son enfance : si vous m’aimez, éloignez de lui la pernicieuse flatterie ; enseignez-lui à se vaincre ; qu’il soit comme un jeune arbrisseau encore tendre, qu’on plie pour le redresser. Surtout n’oubliez rien pour le rendre juste, bienfaisant, sincère et fidèle à garder un secret. Quiconque est capable de mentir est indigne d’être compté au nombre des hommes ; et quiconque ne sait pas se taire est indigne de gouverner.

Je vous rapporte ces paroles, parce qu’on a eu soin de me les répéter souvent et qu’elles ont pénétré jusqu’au fond de mon cœur : je me les redis souvent à moi-même. Les amis de mon père eurent soin de m’exercer de bonne heure au secret : j’étais encore dans la plus tendre enfance, et ils me confiaient déjà toutes les peines qu’ils ressentaient, voyant ma mère exposée à un grand nombre de téméraires qui voulaient l’épouser. Ainsi on me traitait dès lors comme un homme raisonnable et sûr : on m’entretenait secrètement des plus grandes affaires ; on m’instruisait de tout ce qu’on avait résolu pour écarter ces prétendants. J’étais ravi qu’on eût en moi cette confiance : par là je me croyais déjà un homme fait. Jamais je n’en ai abusé ; jamais il ne m’a échappé une seule parole qui pût découvrir le moindre secret. Souvent les prétendants tâchaient de me faire parler, espérant qu’un enfant, qui pourrait avoir vu ou entendu quelque chose d’important, ne saurait pas se retenir ; mais je savais bien leur répondre sans mentir, et sans leur apprendre ce que je ne devais pas dire.

Alors Narbal me dit : Vous voyez, Télémaque, la puis-