Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

voient ma sincérité : c’est à eux à conserver ma vie par leur puissance, s’ils le veulent ; mais je ne veux point la sauver par un mensonge.

Narbal me répondait : Ce mensonge, Télémaque, n’a rien qui ne soit innocent ; les dieux mêmes ne peuvent le condamner : il ne fait aucun mal à personne ; il sauve la vie à deux innocents ; il ne trompe le roi que pour l’empêcher de faire un grand crime. Vous poussez trop loin l’amour de la vertu et la crainte de blesser la religion.

Il suffit, lui disais-je, que le mensonge soit mensonge pour n’être pas digne d’un homme qui parle en présence des dieux, et qui doit tout à la vérité. Celui qui blesse la vérité offense les dieux, et se blesse soi-même, car il parle contre sa conscience. Cessez, Narbal, de me proposer ce qui est indigne de vous et de moi. Si les dieux ont pitié de nous, ils sauront bien nous délivrer : s’ils veulent nous laisser périr, nous serons en mourant les victimes de la vérité, et nous laisserons aux hommes l’exemple de préférer la vertu sans tache à une longue vie : la mienne n’est déjà que trop longue, étant si malheureuse. C’est vous seul, ô mon cher Narbal, pour qui mon cœur s’attendrit. Fallait-il que votre amitié pour un malheureux étranger vous fut si funeste !

Nous demeurâmes longtemps dans cette espèce de combat : mais enfin nous vîmes arriver un homme qui courait hors d’haleine ; c’était un autre officier du roi, qui venait de la part d’Astarbé. Cette femme était belle comme une déesse ; elle joignait aux charmes du corps tous ceux de l’esprit ; elle était enjouée, flatteuse, insinuante. Avec tant de charmes trompeurs elle avait, comme les Sirènes, un cœur cruel et plein de malignité ; mais elle savait cacher ses sentiments corrompus par un profond artifice.