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Page:Fenelon - Aventures de Telemaque suivies du recueil des fables, Didot, 1841.djvu/96

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LIVRE v.

quait Neptune : Ô puissant dieu, s’écriait-il, toi qui tiens l’empire des ondes, daigne écouter un malheureux : si tu me fais revoir l’île de Crète malgré la fureur des vents, je t’immolerai la première tête qui se présentera à mes yeux.

Cependant son fils, impatient de revoir son père, se hâtait d’aller au-devant de lui pour l’embrasser : malheureux, qui ne savait pas que c’était courir à sa perte ! Le père, échappé à la tempête, arrivait dans le port désiré ; il remerciait Neptune d’avoir écouté ses vœux : mais bientôt il sentit combien ses vœux lui étaient funestes. Un pressentiment de son malheur lui donnait un cuisant repentir de son vœu indiscret ; il craignait d’arriver parmi les siens et il appréhendait de revoir ce qu’il avait de plus cher au monde. Mais la cruelle Némésis, déesse impitoyable, qui veille pour punir les hommes et surtout les rois orgueilleux, poussait d’une main fatale et invisible Idoménée. Il arriva, à peine ose-t-il lever les yeux : il voit son fils, il recule, saisi d’horreur. Ses yeux cherchent, mais en vain, quelque autre tête moins chère qui puisse lui servir de victime.

Cependant le fils se jette à son cou, et est tout étonné que son père réponde si mal à sa tendresse ; il le voit fondant en larmes. Ô mon père, dit-il, d’où vient cette tristesse ? Après une si longue absence, êtes-vous fâché de vous revoir dans votre royaume, et de faire la joie de votre fils ? Qu’ai-je fait ? vous détournez vos yeux de peur de me voir ! Le père, accablé de douleur, ne répondit rien. Enfin, après de profonds soupirs, il dit : Ô Neptune, que t’ai-je promis ! À quel prix m’as-tu garanti du naufrage ! rends-moi aux vagues et aux rochers qui devaient, en me brisant, finir ma triste vie ; laisse vivre mon fils ! Ô dieu cruel ! tiens, voilà mon sang, épargne le sien. En parlant