Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/10

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n’a été à cet égard aussi simple, aussi clair, aussi profond que celui dont nous essayons de faire revivre le nom.

Et la preuve que son entreprise ne fut pas vaine, que son œuvre a été grande et durable, c’est qu’aujourd’hui encore, il suffirait de traduire son latin en français pour faire de ses Dialogues par exemple ou de ses Traités le programme et le manifeste de l’une des deux écoles théologiques entre lesquelles oscille toujours le protestantisme. Ou plutôt — car il faut lui rendre une justice plus entière, — Castellion semble avoir devancé les temps, et franchissant trois siècles, avoir écrit précisément en vue de l’état d’esprit final auquel le protestantisme devait tôt ou tard parvenir. C’est ce qui explique qu’on trouve aujourd’hui une saveur particulière à des ouvrages que le XVIIe ni le XVIIIe siècle n’ont pu comprendre, les jugeant à la fois trop avancés et trop pieux, d’une pensée trop hardie et d’un accent trop mystique. Aujourd’hui en effet le protestantisme français — nous ne voulons parler que de celui-là — achève une évolution qui mériterait d’intéresser le grand public si le grand public pouvait, s’intéresser à ce qui se passe dans un monde si petit et si fermé. La vieille querelle du rationalisme et de l’orthodoxie est épuisée, nous avons vu le combat finir faute de combattants. Il n’y a plus d’orthodoxes, disent les uns; il n’y a plus de rationalistes, disent les autres. Et tous deux ont raison. Il reste des protestants qui arrivent enfin à se rendre compte que, si le catholicisme rêve à tort ou à raison une absolue et parfaite unité dans l’immobilité du dogme, la raison d’être du protestantisme est d’offrir au contraire une variété de degrés, une souplesse de formes et une richesse de nuances qui ne sera jamais trop grande pour satisfaire aux exigences d’une pensée sans cesse en progrès, aux anxiétés d’une conscience morale de plus en