Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/324

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tion, il ne fallait pas s’exposer et faire tort a un homme libre. Combien plus faut-il agir ainsi quand il va de la vie et en matiere de religion où l’on peut se tromper si lourdement !

Attendons la sentence du juste juge, et mettons peine non pas de condamner les autres, mais de ne faire chose pour laquelle nous devions craindre damnation. Laissons les zizanies (ivraie) jusqu'à la moisson, afin que, par aventure, nous n’arrachions le bled, quand nous voulons plus scavoir que nostre maistre. Et aussi la dernière fin du monde n’est pas encore venue, et ne sommes point anges auxquels cette charge soit commise 1.

En abordant sous une autre image un autre argument non moins décisif, Castellion répond : « N’est-ce pas une absurdité de vouloir user d’armures terrestres en une bataille spirituelle ? » Sur quoi il ajoute ces belles paroles :

Les ennemis des chrestiens sont les vices, contre lesquels il faut combattre par vertus, et guarir les maux contraires par remèdes contraires, afin que doctrine chasse ignorance, patience vainque injure, modestie résiste à orgueil, diligence soit mise eontre paresse, clemence bataille contre cruauté et que la pure conscience et religieuse, se rendant louable devant Dieu et s’efforçant de plaire au seul Dieu, rue simulation par terre. Gestes sont les vrayes armures et vrayment victorieuses de la. religion chrestienne, Et non pas que la charge de celuy qui enseigne soit commise à un bourreau 2.

Cette réserve, évidemment, n’est nécessaire que pour les questions de religion. Quant aux crimes de droit commun, « ces Cas ne viennent pas en doute >>. Personne Il,€I]t}l‘O]')l`CI](l l’apologie de l’assassinat, pas mème un assassin 1

Mais certes l’affaire de la religion et de l'intelligence de la saincte escriture est bien autre : car les choses contenues en icelle nous sont données obscurément et souventes fois par énigmes et questions obscures lesquelles sont en discute, il y a desia plus de mille ans, sans que la chose ait jamais sceu estre accordée ou qn’encore maintenant le puisse estre, si ce n’est par charité, laquelle romp et apaise toutes les controverses et déchasse ignorance 3.

Eh quoi ! nous laissons bien vivre parmi nous, je ne dis pas seulement les Turcs qui n’aiment guère Christ, les Juifs qui le haissent mortellement, mais aussi nous souffrons bien les maldisans ou détracteurs, les orgueilleux, les envieux, les avaricieux, les impudiques,les ivrongnes, et autres pestes des hommes, et vivons avec eux, faisans grand chere, et gaudissans : par plus forte raison devons-nous (au

1. Traité des hérétiques, etc., p. 96.

2. P. 77.

3. P. 97.