presque banale et à laquelle nous ne saurions plus prendre un bien vif intérêt. — Une expérience récente a fourni aux moralistes l’occasion très imprévue d’observer le contraire. Un généreux anonyme avait ouvert un concours sur ce sujet : la liberté de conscience, et ce que le concours a surtout mis à lumière, c’est qu’il reste encore singulièrement à faire pour que cette notion pénètre au fond des esprits et dans la masse même de la société cultivée, pour qu’elle soit aussi claire et aussi ferme, aussi réfléchie et aussi profonde que nous nous en flattions. Comme le prouve avec tant de force et de pénétration le Rapport[1] qui a été certainement le plus beau fruit du concours, à l’inverse du temps passé, nos institutions sont à cet égard en avant de nos mœurs; nous ne brûlons plus personne, mais nous haïssons encore, presque à notre insu, l’opinion adverse; nous savons supporter la croyance d’autrui, mais savons-nous l’aimer, la respecter à l’égal de la nôtre, tout simplement parce que c’est une croyance?
Au fond, il y a sous l’idée de tolérance tout autre chose qu’une question de douceur et de mansuétude, il y a toute une philosophie, il y a toute une théologie impliquée par ce seul mot, et c’est ce qui fait de ce sujet tout autre chose aussi qu’un lieu commun. Si rien n’est plus banal que la tolérance née du scepticisme, de l’indifférence ou de la lassitude, rien n’est plus neuf au contraire ni plus difficile, qu’une théorie raisonnée de la tolérance prise dans son ampleur.
La raison dernière et la seule solide de la liberté religieuse, c’est la conviction qu’il existe deux domaines distincts, celui de la science et celui de la conscience; qu’il y a deux méthodes et deux certitudes correspondant à deux
- ↑ La liberté de conscience, par Léon Marillier, rapport présenté au nom du jury du concours. Paris, A. Colin, 1890.