Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/8

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ordres de choses, l’ordre des faits scientifiques, l’ordre des faits moraux; que dans l’un il faut tendre à l’unité, qui est la marque du vrai, dans l’autre à la diversité, condition nécessaire de la sincérité; que les mathématiques se démontrent et que la religion se sent; que la foi ne vaut que si elle est l’acte propre de l’àme et que l’àme ne vit que si elle est libre; que dès lors toute atteinte à la liberté de la pensée religieuse et du sentiment religieux est une entreprise criminelle autant qu’absurde, également déshonorante pour qui l’impose et pour qui l’accepte.

Au moment même où notre pays mettait la liberté de conscience au premier rang des droits de l’homme, Kant en donnait le fondement métaphysique, il en faisait la théorie, il démontrait la légitimité du principe et la fécondité de ses conséquences en séparant hardiment la critique de la raison pure de celle de la raison pratique. Certains esprits ont pu feindre de s’y méprendre, lui reprocher d’aboutir logiquement au scepticisme et d’en sortir pratiquement par une contradiction. Mais en dehors de l’école, traduite en langue vulgaire sa doctrine a été si bien comprise qu’elle est devenue la base de toutes les philosophies du siècle : à côté du monde de l’intelligence, elle découvrait le monde de la volonté et elle affirmait que les lois de celui-ci ne sont pas celles de celui-là : l’un est mû par des forces aveugles, l’autre par une force libre; à l’un président les lois de la nature, à l’autre la loi morale. Ce n’est pas une contradiction, c’est la constatation de deux réalités distinctes dont il nous faut respecter l’essentielle distinction.

Or, c’est dans le monde moral que se place tout le problème religieux et non pas ailleurs. Du coup, les diverses solutions de ce problème, se mouvant toutes dans une autre sphère que celle de la science proprement dite, peuvent et doivent déposer cette prétention à l’absolu, qui est