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« Je ne viens point t’apprendre, ou mieux, te faire accroire
« Que tu tiens ton bonheur et ta prochaine gloire :
« Au contraire ; je veux, dans le cas où tes jours
« Sous quelque long chagrin s’assombriraient toujours ;
« Je veux, bon Salomon, que ton esprit qui pense
« Dans ce brillant tableau trouve sa récompense.
« Contemple l’avenir que je vais dévoiler,
« Toi, son premier moteur ; écoute-moi parler.

« Après des jours d’angoisse et de peine incessante,
« Tu viens de découvrir une force puissante,
« Un levier surhumain, dont le monde aurait peur
« S’il le voyait déjà… l’incroyable vapeur.
« Comme tu l’as prévu, travailleur solitaire,
« C’est à bouleverser la face de la terre ;
« C’est à faire penser au siècle indifférent
« Que l’homme emprunte à Dieu son pouvoir le plus grand
« Et pourtant ta merveille en est à son enfance !
« Dans mon aveu, de Caux, ne vois rien qui t’offense.
« Ta pensée est sublime, et chacun le saura ;
« Mais c’est un germe… un jour le germe grandira.
« Après toi le génie en fera son partage.
« Pour le développer, comme un riche héritage,
« Des mains, d’habiles mains viendront le recueillir,
« Et ses fruits,… l’univers est là pour les cueillir !

« Oh ! si je ne craignais la trop longue entrevue,
« Je te ferais passer tous les liens en revue :
« — Aussitôt après toi, voici Denis Papin,
« Qui, banni, de la Hesse ira manger le pain,
« Et, sans qu’un bras ami le garde ou l’accompagne,
« De ses trésors trouvés dotera l’Allemagne ;
« Il mourra, lui léguant son travail commencé.
« — Plus tard, le reprenant où Papin l’a laissé,
« Deux pauvres ouvriers sortis de l’Angleterre
« Avanceront d’un pas ce labeur, ce mystère ;
« Hauts esprits, du plus grand parmi tes successeurs
« Newcommon et Cowley seront les précurseurs.
« — Mais voici James Watt ! gloire à cet homme unique !
« Au Christophe Colomb de toute mécanique !
« Sous ses doigs surgiront de merveilleux effets :
« La vapeur s’emprisonne en des tubes parfaits ;
« Les bateaux, jusqu’alors humbles bateaux modèles,
« Grandissent en un jour en attendant leurs ailes.
« Tu le vois, faisant pacte avec Mathew Bolton,
« Sortir l’eau de la mine à l’appel du piston.
« Il découvrira tout dans l’ardeur qui le guide ; …
« Mais c’est le voir assez pour ce coup d’œil rapide.
« — Deux hommes vont venir, aidant le grand moteur,
« Périer, Jouffroy, tous deux Français, hommes de cœur.
« Le premier aux bateaux va donner leurs nageoires ;
« Le second, au milieu d’ironiques déboires,
« Aidé d’un artisan, sur la Saône et le Doubs
« Essaye un pyroscaphe, aux yeux… fermés de tous.
« Devant ce grand progrès la masse est incrédule,
« Et, pour accueil, sur lui jette le ridicule.
« Ne t’épouvante point, mon pauvre Salomon.
« L’homme essuye au début le rire du démon ;
« Mais plus tard les bravos lui font une auréole,
« Et le dédain se change en encens pour l’idole.
« — Nomme ensuite Miller, et Stanhope, et Smington,
« Mais vite, — et fais poser Fulton, Robert Fulton.
« C’est cet Américain de bien humble origine
« Qui doit mener à fin l’étonnante machine ;