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essence du christianisme

nous aimons pour aimer, nous voulons pour vouloir, c’est-à-dire pour être libres. Il n’y a d’être véritable que l’être pensant, aimant, voulant. Il n’y a de vrai, de parfait, de divin que ce qui existe par soi et pour soi-même ; mais ainsi est l’amour, ainsi la raison, ainsi la volonté. La trinité divine dans l’homme, puissance qui domine son individualité, c’est l’unité de ces trois forces. Mais ces forces, l’homme n’en est pas maître, car il n’est rien sans elles, et ce qu’il est, il ne l’est que par elles. Elles sont les éléments fondamentaux de son être, de son être qu’il ne possède ni ne fait, elles sont des puissances qui l’animent, le déterminent, le gouvernent, des puissances absolues, divines, auxquelles il ne peut opposer aucune résistance[1].

Comment l’homme sensible pourrait-il résister au sentiment, l’homme aimant à l’amour, l’homme raisonnable à la raison ? Qui n’a pas éprouvé la puissance de la musique ? mais qu’est la puissance de la musique sinon la puissance du sentiment ? Le son, c’est le sentiment qui s’exprime, qui se communique. Qui n’a pas éprouvé la puissance de l’amour ou n’en a pas au moins entendu parler ? Quel est le plus fort de l’amour ou de l’homme individuel ? Quand l’amour s’empare de l’homme et le pousse même à braver la mort pour l’objet aimé, cette force qui triomphe de la mort est-ce sa force propre, individuelle, ou n’est-ce pas plutôt la force de l’amour ? Et qui a jamais véritablement pensé sans éprouver la puissance de la pensée, cette puissance calme, muette et si mystérieuse ? Quand tu

  1. « Toute opinion est assez forte sur l’homme pour qu’il la défende jusqu’à la mort. » Montaigne.