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essence du christianisme

c’est-à-dire le sentiment ne parle qu’au sentiment, il n’est intelligible que pour lui-même. La musique est un monologue du sentiment ; mais le dialogue de la philosophie n’est en vérité qu’un monologue de la raison. L’éclat des couleurs des cristaux ravit les sens ; la raison n’est intéressée qu’à la connaissance des lois de leur formation. La raison n’a pour objet que ce qui est raisonnable.

Il suit de là que tout ce qui, par la spéculation philosophique ou par la religion, est pris dans le sens de dérivé, de subjectif ou humain, de moyen ou d’organe, tout cela a pour la vérité le sens de primitif, de divin, de l’être et de l’objet lui-même. Si, par exemple, on regarde le sentiment comme l’organe de la religion, comme le révélateur de la divinité, l’essence de Dieu n’exprimera rien autre chose que l’essence du sentiment. Le sens vrai mais caché de cette proposition : « Le sentiment est l’organe de la divinité, » le voici : le sentiment est ce qu’il y a de plus noble, de plus parfait, de plus divin dans l’homme. Comment pourrais-tu comprendre la divinité par le sentiment si le sentiment n’était pas de nature divine, car le divin ne peut être compris que par le divin, Dieu ne peut être connu que par Dieu. L’être divin conçu par le sentiment n’est en réalité que le sentiment enchanté et ravi de sa propre nature, ivre de joie et de bonheur en lui-même.

Aussi, depuis que le sentiment est devenu le point important de la religion, les articles de foi du Christianisme, autrefois si sacrés, sont devenus indifférents. Et cette indifférence provient de ce que là où le sentiment est déclaré l’être subjectif, l’organe de la religion, là aussi il en est l’être objectif réel, en un mot