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essence du christianisme

le Dieu. Du moment qu’on déclare que le sentiment est religieux, on supprime toute différence entre le sentiment religieux et celui qui ne l’est pas. En effet, pourquoi ferais—tu du sentiment l’organe de l’infini, si ce n’est à cause de son essence, de sa nature ? Mais la nature du sentiment, en général, n’est-elle pas aussi la nature de tout sentiment particulier, quel que soit son objet ? Qu’est-ce qui rend donc tel ou tel sentiment religieux ? L’objet auquel il s’applique ? Point du tout. car ce même objet n’est lui—même religieux que s’il est un objet du sentiment et non de la froide raison. Son caractère religieux dépend donc de la nature du sentiment en général, à laquelle participe tout sentiment particulier, et cette nature est déclarée sainte, et c’est en elle qu’est fondée toute religiosité. Le sentiment est ainsi proclamé l’absolu, le divin, et puisqu’il est par lui-même bon, religieux, c’est-à-dire saint, n’a-t-il pas sa divinité en lui-même, n’est-il pas son propre Dieu ?

Si néanmoins tu veux fonder sur le sentiment l’objet de la religion, Dieu, que peux-tu faire autre chose que d’établir une distinction entre tes sentiments individuels et l’essence du sentiment, et de séparer cette essence des influences qui rendent impure ta faculté de sentir, parce que comme individu tu es soumis à mille conditions, à mille circonstances qui peuvent être autant de causes de corruption ? Ce que, par conséquent, tu déclareras comme étant l’infini, comme en constituant l’essence, ce sera la nature du sentiment ; tu n’auras pour Dieu d’autre détermination que celle-ci : Dieu est le sentiment pur, libre, sans bornes. Tout autre Dieu te serait imposé du dehors. Le sentiment est athée dans le sens de la foi orthodoxe, qui lie la religion à un Dieu