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ESSENCE DU CHRISTIANISME

existant en dehors de nous. Il est à lui-même son Dieu ; à son point de vue, la négation de lui-même est la négation de Dieu. Ce n’est donc que par lâcheté de cœur ou par faiblesse d’esprit que tu n’oses pas avouer ouvertement ce que tes sentiments avouent en secret. Retenu par des arrière—pensées traditionnelles, incapable de comprendre la grande âme du sentiment, tu t’effrayes de l’athéisme de ton propre cœur, et, dans cet effroi, tu te laisses retomber dans les questions et les doutes antiques ; si un Dieu existe ou n’existe pas, questions et doutes qui disparaissent nécessairement là où l’on fait du sentiment l’essence de la religion. Le sentiment est ta force la plus intime, et pourtant différente et indépendante de toi ; il est ton être propre qui t’affecte, comme si c’était un autre être, en un mot, ton Dieu.

Le sentiment n’a été pris à part jusqu’ici que pour nous servir d’exemple. Il en serait de même pour toute autre force, faculté, puissance (le nom est indifférent), dont on ferait l’organe essentiel, le révélateur de la religion, ou de quoi que ce soit. Ce qui subjectivement, c’est—à-dire du côté de l’homme, a la signification de l’être, de l’essence, a la même signification du côté de l’objet, c’est-à-dire dans la réalité. L’homme ne peut s’élever au-dessus de sa nature réelle ; il peut bien, au moyen de la fantaisie, se figurer des êtres différents, même supérieurs, mais il lui est impossible de faire abstraction de son espèce, de son être. Les qualités qu’il donne aux individus produits de son imagination sont toujours puisées dans sa propre nature et ne sont en réalité que son image. Il y a bien sûrement d’autres êtres pensants dans les corps célestes, mais par l’admission de ces êtres nous ne changeons rien à notre point