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essence du christianisme

certain, réel. Le manque de détermination pour Dieu, ou ce qui est la même chose, la prétention qu’il est impossible de le connaître, c’est là un fruit des temps nouveaux, c’est un produit de l’incrédulité moderne. De même que l’homme n’impose et ne peut imposer des bornes à la raison que là où il regarde soit les plaisirs sensuels, soit le sentiment religieux comme les seules choses vraies, absolues ; de même il ne peut établir et proclamer comme un dogme l’impossibilité de connaître Dieu que là où il ne trouve plus aucun intérêt à le connaître, que là où la réalité seule, l’absorbant tout entier, a pour lui la signification et l’importance de l’essentiel, de l’absolu, du divin, mais où en même temps un vieux reste de religiosité se trouve encore, tout à fait en contradiction avec cette direction mondaine de son esprit. L’homme s’excuse devant sa conscience restée religieuse de se laisser aller au torrent du monde et d’avoir oublié Dieu, en prétextant l’impossibilité de le connaître. Il ne le nie point en théorie, il n’attaque point son existence : non, il la laisse debout ; mais cette existence ne le touche ni ne l’incommode : c’est une existence négative, qui se contredit, qui par ses effets ne peut se distinguer du néant. La négation d’attributs positifs, déterminés pour l’être suprême n’est pas autre chose que la négation de la religion, mais conservant encore une apparence religieuse, de manière à ne pas paraître négation ; ce n’est qu’un athéisme subtil, plein de fausseté et de ruse. Celui qui croit sérieusement à l’existence de Dieu n’est point choqué par les qualités de Dieu même les plus matérielles. Un Dieu qui se sent offensé par les déterminations de son être n’a pas le courage, n’a pas la force