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essence du christianisme

L’amour, la bonté, la personnalité, toutes ces manières d’être sont-elles des déterminations de l’homme, eh bien ! l’être que tu leur donnes pour substance, même l’existence de cet être, même la croyance qu’un Dieu existe est un anthropomorphisme, une supposition de l’homme. D’où sais-tu que la croyance en Dieu n’est pas une limite de l’intelligence de l’homme dans sa manière de se représenter les choses ? Des êtres plus élevés — et tu en admets — sont peut-être assez heureux en eux-mêmes, assez d’accord avec leur propre nature pour ne pas trouver une scission, un abîme entre eux et un être supérieur. Connaître Dieu et n’être pas Dieu soi-même, connaître le bonheur et n’en pas jouir, c’est un désaccord et même un malheur ; ce malheur, des êtres plus parfaits ne le connaissent même pas, ils n’ont aucune idée de ce qu’ils ne sont pas eux-mêmes[1].

Tu crois que l’amour est un attribut de Dieu parce que toi-même tu aimes ; tu crois que Dieu est un être sage et bon parce que tu ne connais rien de meilleur que la bonté et l’intelligence ; tu crois que Dieu existe, qu’il est un sujet, un être, parce que toi-même tu existes, parce que tu es toi-même un être. Tu ne connais pas de bien humain au-dessus de celui d’aimer, d’être sage et bon et en général d’exister ; car la con-

  1. Aussi dans l’autre monde ce désaccord entre Dieu et l’homme disparaît ; — là l’homme n’est plus homme, il n’a plus une volonté particulière différente de la volonté divine, et par conséquent son être ne lui appartient plus, — car qu’est l’être sans la volonté ! — il est un avec Dieu. Mais là où Dieu seul est, là il n’y a plus de Dieu ; — là où la majesté n’a rien qui fasse contraste avec elle, là il n’y a plus de majesté.