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essence du christianisme

trouve qu’en elle-même, dans sa propre essence, le fondement et le but de l’univers ; elle ne trouve intelligible l’existence du monde que si elle en puise l’explication en elle-même, à la source des idées claires et intelligibles. L’être agissant avec intention, dans un but, voilà pour la raison[1] le seul être vrai, immédiatement clair et certain par lui-même, le seul qui soit à lui-même son propre fondement. Ce qui n’a en soi aucune intention, aucun but, doit avoir le principe de son existence dans l’intention d’un autre être et d’un être intelligent. Ainsi la raison, par sa dignité et par son rang, le premier des êtres, dans le temps le dernier, se fait aussi le premier des êtres dans le temps ; elle fait précéder l’existence du monde de la sienne propre.

La raison est pour elle-même le criterium de toute vérité, de toute réalité. Ce qui est sans raison, ce qui se contredit n’est rien. Ce qui est en contradiction avec la raison est en contradiction avec Dieu. Ainsi, la raison ne peut allier avec l’idée de la suprême réalité les bornes du temps et de l’espace ; aussi elle les rejette en Dieu. La raison ne peut croire qu’en un Dieu d’accord avec sa propre essence, qu’en un Dieu qui n’est pas au-dessous de sa propre dignité, c’est-à-dire elle ne croit qu’en elle-même, en la vérité, en la réalité de sa propre essence ; elle ne se met pas sous la dépendance de Dieu, mais Dieu sous la sienne. Même dans les temps de foi aux miracles et à l’autorité reli-

  1. Bien entendu pour la raison telle que nous la considérons ici, pour la raison théistique, sans rapport avec les sens, étrangère à la nature.