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essence du christianisme

elle se faisait, sinon en réalité, du moins d’après la forme, le criterium de la Divinité. Dieu, disait-on alors, est tout et peut tout, mais il ne peut faire rien qui se contredise, rien qui soit en contradiction avec la raison. Ainsi au-dessus de la puissance de la Toute-Puissance est la puissance de la raison, au-dessus de l’être divin l’être de la raison comme criterium de ce qu’on doit affirmer ou nier de Dieu. Ce que dans mon intelligence je reconnais comme essentiel, je le fais exister en Dieu ; ce que la raison reconnaît pour ce qu’il y a de plus grand, de plus parfait, c’est Dieu ; mais c’est justement dans ce que je reconnais comme essentiel que se révèle l’essence de ma raison, que se montre toute la puissance de ma faculté de penser.

La raison est ainsi l’ens realissimum, l’être réel par excellence de l’ancienne ontothéologie. Au fond, nous ne pouvons penser Dieu, dit l’ontothéologie, qu’en lui attribuant toutes les réalités qui sont en nous, mais sans limitation aucune. Les qualités essentielles, positives, sont les mêmes en Dieu qu’en nous ; en nous limitées, en Dieu infinies. Mais qui ôte à ces qualités leur limitation et leur donne l’infini pour attribut ? c’est la raison. Qu’est par conséquent l’ètre conçu comme infini, sinon l’être même de la raison mettant de côté toute barrière, toute limitation. Ta manière de penser Dieu révèle ta manière de penser en général ; la mesure de ton Dieu est la mesure de ton intelligence. Penses-tu Dieu, par exemple, comme un être revêtu d’un corps, eh bien ! le corps est la borne de ton intelligence, puisque tu ne peux rien te représenter d’incorporel. Penses-tu Dieu, au contraire, comme un être immatériel, tu affirmes par là la liberté de ton intelli-