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essence du christianisme

pressentiment le plus éloigné d’une raison essentiellement différente de celle qui se montre dans l’homme. Tout au contraire, toute autre intelligence dont j’affirme l’existence n’est qu’une affirmation de la mienne, c’est-à-dire une idée en moi, une conception qui ne dépasse pas et ne fait qu’exprimer ma faculté de penser. Dans les choses purement intellectuelles, ce que je pense, je le fais ; ce que je me représente comme uni, je l’unis ; comme séparé, je le sépare ; comme détruit, comme nul, je le détruis, je le nie. Si, par exemple, je conçois une intelligence dans laquelle, comme dans l’intelligence divine, la pensée d’un objet est liée à cet objet, c’est-à-dire entraîne son existence, j’unis l’existence et la pensée ; mon imagination est la faculté qui lie ensemble ces contrastes ou ces contradictoires. L’idée de la raison comprend l’idée de l’unité. L’impossibilité pour la raison de penser deux êtres suprêmes, deux substances infinies, deux dieux, est pour elle l’impossibilité de se contredire, de nier sa propre essence, de se penser comme susceptible d’être divisée ou multipliée.

La raison est l’être infini. L’infinité découle immédiatement de l’unité, la limitation de la pluralité. La limitation dans le sens métaphysique se fonde sur la différence qu’il y a entre l’existence et l’être, entre l’individu et l’espèce. Est borné tout ce qui peut être comparé à des individus du même genre ; est infini ce qui n’a d’égal que soi-même, ce qui ne peut être rangé dans aucune catégorie, ce qui est à la fois espèce et individu, existence et essence. Mais ainsi est la raison. Elle a son être en elle-même et non point en dehors ; elle est incomparable, parce qu’elle est elle-même la